"- C'est un jeu ?
- Je ne sais pas. Pas encore."
Sorti quelques mois seulement après Vanishing Point, Two-Lane Blacktop reste, à ce jour, le seul film de Monte Hellman produit par un grand studio. Peu convaincu par la première version du scénario écrit par l'acteur Will Corry, le réalisateur obtient du producteur et époux de Leslie Caron Michael Laughlin un nouveau traitement. Celui-ci est signé par deux débutants, l'écrivain Rudolph Wurlitzer, futur auteur du script de Pat Garrett & Billy the Kid de Sam Peckinpah, et Floyd Mutrux plus connu pour sa participation, créditée cette fois, au Bound by Honor de Taylor Hackford. Au casting de ce road-movie étrangement ascétique, un chanteur, un batteur, une mannequin-photographe mais aussi un acteur peckinpien atypique (pléonasme ?) et une vieille mais vaillante Chevy 1955 construite par Richard Ruth que l'on reverra dans American Graffiti.
Deux jeunes hommes, l'un conducteur l'autre mécanicien d'une Chevrolet 1955
modifiée et gonflée, gagnent leur vie en participant à des courses de
rue clandestines. Après l'une d'entre elles, interrompue prématurément
par l'arrivée de la police, ils décident de partir pour l'Est. Sur la
route, ils sont doublés par un individu à bord d'une Pontiac GTO 1970
qui tente en vain de les provoquer. Pendant une pause déjeuner, une
jeune auto-stoppeuse s'installe à leur insu dans le véhicule, devenant
ainsi la passagère de leur voyage sans destination. Dans une station
essence d'Amarillo (Texas), ils retrouvent l'homme à la GTO et accepte un défi : gagner le véhicule du concurrent en ralliant le premier Washington DC, distant de mille six cents milles.
La
soif de liberté et d'évasion qui a caractérisé les années 1960 vire à
la fuite, à l'errance au cours de la décennie suivante. C'est à cette
époque que naît, dans le sillage de Bonnie and Clyde, Easy Rider et Five Easy Pieces, le road-movie, un genre pour lequel Two-Lane Blacktop, Badlands, The Sugarland Express puis Thelma & Louise
deviendront des étapes incontournables. Ce qui étonne et séduit à la
fois dans le film peu dialogué et partiellement improvisé de Monte Hellman,
c'est d'abord l'absence d'enjeu au cœur d'un défi, de sentiment au
profit d'intérêts circonstanciels ou de contingences. C'est aussi, à la
différence des automobiles apparaissant au générique, l'absolu anonymat
de personnages dont on ne connaîtra ni le passé, ni a fortiori le
destin. C'est enfin une peinture fantasque, excentrique des Etats-Unis
profonds, notamment à travers les individus pris en auto-stop par GTO.
Aucun souci esthétique ne préoccupant Hellman, Two-Lane Blacktop conserve, plus de trente-cinq ans après sa sortie, une authenticité et une originalité avec lesquelles les Gone in 60 Seconds et autres The Fast and the Furious de première et seconde générations ne peuvent rivaliser. La présence d'interprètes inconnus au cinéma, James Taylor (qui venait de sortir son troisième album sur lequel figuraient les chansons "Let Me Ride" et "Highway Song" !) choisi à la suite du refus de Bruce Dern, de Dennis Wilson (batteur et second compositeur des Beach Boys entré dans la "famille" de Charles Manson*), de Laurie Bird** participe à l'étrangeté et à la singularité du film. Et celle de Warren Oates, acteur de western campant un citadin mythomane, n'arrange évidemment rien. Dans son Lost Highway, David Lynch citera à plusieurs reprises mais de façon discrète ce que beaucoup considèrent comme le meilleur film d'Hellman et un chef-d'œuvre tout court.
___
* après avoir pris deux jeunes femmes en auto-stop !
** que l'on retrouvera, aux cotés de Warren Oates et Harry Dean Stanton, déjà partenaires à deux reprises, notamment en 1969 pour un court métrage de Terrence Malick, dans Cockfighter et dans un petit rôle de Annie Hall.
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