"N'oublie jamais qui tu es et d'où tu viens... Ma fille."
La rencontre de Marjane Satrapi
avec Pierre-François Beauchard, alias David B., avait poussé la
graphiste, diplômée des Beaux-Arts de Téhéran après son séjour
autrichien, à raconter l'histoire tragi-comique de sa jeunesse iranienne
itinérante sous forme d'une série de bande dessinée en quatre parties,
parue entre 2000 et 2003. L'important succès rencontré par cette édition
s'est naturellement traduit par un projet cinématographique, mis en
chantier dès 2005 avec un autre auteur de B.D., spécialiste de l'humour
macabre, Vincent Paronnaud, alias Winshluss. Et l'on peut dire que cette adaptation (plus que transposition),
par sa tonalité singulière et son supplément d'âme, apportent une
réelle valeur ajoutée au récit que nous connaissions déjà. Récompensé
par le "Prix du jury" cannois 2007* ("dédié à tous les Iraniens"), Persepolis pourrait bien représenter la France dans la catégorie "meilleur film en langue étrangère" des prochains Academy Awards.
Une
jeune femme iranienne retourne en avion dans son pays. Elle se remémore
son enfance à Téhéran, petite fille choyée par des parents modernes et
cultivés, particulièrement liée à sa grand-mère. En 1978, Marjane
suit avec exaltation les événements qui vont conduire à la révolution
et provoquer la chute du régime du Chah. Elle assiste à la libération
des prisonniers politiques et notamment celle de son oncle paternelle, Anouche, avec lequel elle va brièvement entretenir une relation faite de respect, d'admiration et de tendresse. Communiste, Anouche
va en effet rapidement connaître à nouveau la captivité, celle des
geôles islamiques cette fois, avant d'être exécuté. La guerre contre
l'Irak éclate bientôt, entraînant bombardements, privations, disparition
de proches et s'accompagnant d'une répression intérieure toujours plus
sévère.
En intitulant son récit et son film Persepolis, ville fondée par le roi achéménide Darius Ier, Marjane Satrapi
les relie explicitement à la très longue histoire de son pays et, donc,
à ses racines, un des thèmes importants avec celui de l'intégrité. Elle
souligne aussi de cette façon le caractère éminemment contingent des
événements qu'elle relate. Mais l'ancienne membre du jury de la section "Un Certain regard" aurait tout aussi bien pu l'appeler "Tout le monde n'a pas la chance d'être née princesse "rouge" au pays des mollahs"**.
L'enthousiasme, la fraîcheur de l'enfance et l'humour, défense
naturelle et ironique au cœur d'un environnement sombre, souvent
dramatique ou absurde, et les quelques drolatiques citations
cinématographiques*** comptent en effet parmi les atouts majeurs du
film. La simplicité stylisée du graphisme en noir et blanc se révèle
être également un remarquable support à cette énergie non refoulée qui
semble animer son auteur, exilée à quatorze ans. 'Marji' a bien retenu le conseil de sa grand-mère : sa mémoire et son identité non pas été altérées... pour notre grand plaisir.
___
*ex-æquo avec Stellet licht du Mexicain Carlos Reygadas.
**référence détournée au film de Jean-Jacques Zilbermann !
***dans l'ordre Gojira, Sissi, Derrick, Rocky III dont le "Eye of the Tiger" de Survivor est massacré avec délice, et Terminator 2: Judgment Day.
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