"Que vois-tu dans la profondeur de l'obscurité qui te fasse trembler ?"
Premier long métrage du Basque Víctor Erice, dont la carrière cinématographique avait pourtant débuté douze ans plus tôt, El Espíritu de la colmena est une œuvre forte et unique, à nulle autre pareille. Signée à quatre mains avec le futur célèbre critique du quotidien "El País" Ángel Fernández-Santos, cette histoire écrite pendant la lente agonie du franquisme intrigue et fascine tour à tour par son énigmatique simplicité et sa poétique singulière de l'enfance. Successeur du téléfilm The Glass House de Tom Gries au palmarès du Festival de San Sebastián, récompensé par le "Concha de Oro" 1973, le film d'Erice demeure aujourd'hui encore l'une des meilleures productions du cinéma espagnol ayant, plus largement, ouvert la voie à une certaine conception de la fiction hispanique.
1940, quelque part en Castille. Pendant que leur mère Teresa rédige une lettre à son amant mobilisé qu'elle ira ensuite poster à la gare et que leur père Fernando s'occupe de ses ruches, Ana et sa sœur aînée Isabel sont allées à la séance de cinéma itinérant organisée dans leur village d'Hoyuelos. Une fois couchée, la plus jeune interroge à nouveau sa sœur sur la raison de la mort du Monstre de Frankenstein et de sa victime, la fillette Maria. Isabel lui répond qu'il s'agit d'un film et, par conséquent, qu'ils ne le sont pas vraiment, ajoutant qu'elle a vu le premier et parlé à l'esprit qui l'habite non loin du village. Le lendemain, après la classe, Ana et Isabel se rendent ensemble dans une vieille bâtisse abandonnée et isolée au milieu de la plaine à côté de laquelle se trouve un puits. Puis la première y retourne seule et découvre à proximité une empreinte de chaussure environ deux fois plus grande que son propre pied.
Formidable El Espíritu de la colmena, étrange quoique paisible parabole esquissée à partir de la plus essentielle des scènes du classique de l'horreur réalisé plus de quarante ans auparavant par James Whale. Le film de Víctor Erice est probablement l'un des premiers à être authentiquement construit du point de vue d'un enfant. La perte de l'innocence, la brutale confrontation avec l'idée de laideur et l'expérience de la mort, la trahison sont au cœur de ce récit qui peut aussi être vu comme une métaphore de l'époque où il se situe. Il est en particulier symptomatique de constater que le cadre ne réunit jamais, au cours du métrage, les quatre membres de la famille. Ou noter encore la prégnante mélancolie qui semble les engourdir tout en s'interrogeant sur la fonction symbolique des trains qui traversent périodiquement l'écran. Le scénario développe une intéressante et subtile opposition entre deux sœurs, la première concentrée sur le jeu parfois pervers, la seconde dominée par son imaginaire auquel le sort va incidemment donner une certaine et fatale consistance. Personnage interprétée avec une maîtrise et un charme hypnotique par Ana Torrent alors âgée de six ans pour ce deuxième rôle. Très joli travail du chef-opérateur Luis Cuadrado, sur le point de perdre la vue, dont les lumières miel-citronné participent pleinement au souvenir du film. On ne dira enfin jamais assez l'influence exercé par El Espíritu de la colmena sur le cinéma hispanique, à commencer évidemment par Cría cuervos de Saura également produit par Elías Querejeta, mais aussi le récent El Laberinto del Fauno de Del Toro (ou encore avant ce dernier, dans une certaine mesure, le Io non ho paura du Napolitain Gabriele Salvatores).
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