"... Une blessure qui fait le lien entre deux lignes du temps"
Jamais orphelinat n'avait été, à juste titre, récemment autant fréquenté ! Pour son premier long métrage, Juan Antonio Bayona réussit le tour de force (et peut-être d'écrou, nous y reviendrons) de signer l'un des meilleurs films de genre de ces dix ou quinze dernières années... voire davantage. Dès son projet, le sagace et surbooké Guillermo Del Toro avait mesuré le formidable potentiel du scénario élaboré par Sergio G. Sánchez au point de vouloir le produire. Encore fallait-il ne pas trahir, en la mettant en scène, cette subtile histoire qui résout le temps et les âges. En compétition pour la "Caméra d'or" de la Semaine de la critique 2007, El Orfanato est devenu le plus grand succès espagnol de tous les temps, glanant dans la foulée une jolie moisson de récompenses* avant d'être proposé (sans être retenu) pour représenter l'Espagne dans la catégorie "meilleur film en langue étrangère" aux 80e Academy Awards.
Laura et Carlos Sánchez terminent les travaux de restauration et d'aménagement d'une vaste demeure qu'ils destinent à accueillir de jeunes enfants handicapés. L'endroit abritait auparavant un orphelinat où résidait, avant son adoption, Laura lorsqu'elle était une petite fille. Simón, leur jeune fils, a l'habitude de s'inventer des amis imaginaires. Lors d'une promenade sur la plage avec sa mère, il "rencontre" d'ailleurs l'un d'entre eux au milieu d'une grotte, au pied du vieux phare abandonné, envahie par les eaux à marée haute. Par une après-midi pluvieuse, Laura reçoit à l'improviste la visite d'une vieille femme nommée Benigna Escobedo, se présentant comme assistante sociale et venue lui parler de Simón. Elle apporte avec elle un dossier sur l'enfant ignorant qu'il est adopté et gravement malade, et évoque un traitement expérimental avant d'être sèchement renvoyée par Laura.
Par précaution, celle-ci enferme à clef le dossier en question dans un tiroir de la cuisine. D'étranges bruits nocturnes la tirent bientôt de son sommeil et elle découvre dans la remise au milieu du jardin et met en fuite Mme Escobedo munie d'une pelle. Le lendemain, Simón avoue à sa mère posséder à présent six nouveaux camarades qu'il a dessinés et qui ont la particularité de ne pas grandir. Il l'invite aussi à participer à un jeu de piste auxquels ils l'ont convié et qui aboutit dans le tiroir où est enfermé le dossier de l'enfant. Ce dernier sait désormais par son "ami" Tomás qu'il est orphelin et reproche vivement ce mensonge de Laura. Au cours de la petite fête inaugurale du foyer, Simón disparaît soudainement de manière incompréhensible.
Rares sont les films récents susceptibles d'impressionner durablement. Dans ce registre fantastique mâtiné d'épouvante, Alejandro Amenábar et Jaume Balagueró n'y étaient pas véritablement parvenus. Avec ce coup que l'on peut qualifier d'essai, Juan Antonio Bayona fait d'emblée preuve d'une réelle capacité à adapter un récit complexe, parfois tortueux mais toujours intelligible, ainsi que d'une étonnante maîtrise dans la réalisation. Quelque part entre The Innocents et The Haunting, avec d'évidentes influences (ibériques) issues des productions de Saura ou de Guillermo Del Toro, El Orfanato oppose et réconcilie, sans artifice ni démonstration, la réalité et la croyance, la culpabilité et la souffrance. A l'exception de sporadiques moments percutants, le scénario opte judicieusement pour une tension et une menace suggérées comme d'ailleurs pour une vérité qui semble en permanence se dérober. La remarquable interprétation, pleine et nuancée, de Belén Rueda (partenaire de Javier Bardem dans Mar adentro), éclipse un peu celle des seconds rôles sans toutefois nuire significativement à l'équilibre général du film. Bayona a placé bien haut la barre de sa future... transformation !
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*parmi lesquelles six "premis" barcelonais, deux récompenses dont le "Grand prix" au Fantastic'Arts, sept "Goya" et deux trophées au Fantasporto.
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