"C'est une mascarade, n'est-ce pas ?"
C'est au cours de son "évasion" européenne qu'Orson Welles écrit et réalise ce second film produit sur le vieux continent. Inspiré(1) du personnage d'Harry Lime qu'il tenait brièvement dans The Third Man, devenu entre-temps le héros d'une série radiophonique(2) diffusée sur les ondes britanniques, Mr. Arkadin connote assez naturellement le chef-d'œuvre de Carol Reed mais également celui de l'ex-époux de Rita Hayworth, l'incomparable Citizen Kane. Cosmopolite par son financement comme par son casting, cet énigmatique thriller psychologique apparaît aussi sensiblement hétéroclite sur le plan de la construction, une particularité d'ailleurs renforcée par l'existence d'au moins quatre versions différentes du film(3).
Munich. Au terme d'une enquête à travers le monde, Guy Van Stratten arrive dans le modeste appartement de Jacob Zouk, dernière personne avec son visiteur à connaître désormais le secret de Gregory Arkadin. Situation menaçant la vie de l'aventurier étasunien sans envergure et du vieux truand malade récemment sorti de prison. Une nuit, quelques mois auparavant, sur les docks du port de Naples, un individu nommé Bracco, poignardé dans le dos, s'écroulait devant le voilier de Van Stratten pendant que son meurtrier présumé était abattu par la police. Avant de mourir, l'inconnu promettait la fortune à son ultime interlocuteur s'il affirmait tout savoir du passé d'un homme dont il révélait le nom, ainsi que celui d'une femme, à Mily, l'amie de Van Stratten. Celle-ci s'était alors rendu seule à Juan-les-Pins pour rencontrer l'homme en question, Arkadin, bientôt suivie par son amant. Ce dernier y faisait la connaissance de Reina, la fille unique du richissime homme d'affaires.
Recherche dans le passé (à travers le témoignage) de la nature d'un personnage plus que de sa vérité, pouvoir, dissimulation et manipulation sont à nouveau au cœur de ce scénario volontiers baroque et alambiqué, tellement symptomatique de la complexité wellesienne. Parce qu'il profile davantage une série de portraits qu'il ne narre une banale histoire d'investigation, Mr. Arkadin s'extrait de la convention de genre, notamment du film-noir, tout en conservant certains des codes par lesquels il est reconnaissable. Une démarche (et une thématique) qui n'est pas sans rappeler le Somewhere in the Night de Mankiewicz. La mise en scène stylisée et démonstrative du cinéaste, dominée par les plongées et les cadrages désaxés, achève d'apporter au récit un caractère singulier, presque fantastique. Le Britannique Robert Arden y obtenait assurément le rôle de sa carrière, aux côtés du réalisateur lui-même, de la future jeune et noble épouse de ce dernier, Paola Mori et d'acteurs distingués dans de seconds ou petits rôles.
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1. mais aussi d'un étrange fait divers survenu peu après la Seconde Guerre mondiale : un grand financier international, disparu de son avion en plein vol, dont on ne retrouva jamais le corps, de Basile Zaharoff, l'un des plus célèbres marchands de canons du début du XXe siècle et enfin du The Mask of Dimitrios, roman paru en 1939 d'Eric Ambler, adapté au cinéma par Jean Negulesco.
2. "The Adventures of Harry Lime" ou "The Lives of Harry Lime" (août 1951-juillet 1952).
3. l'une, tombée dans le domaine public, linéaire surtout diffusée aux Etats-Unis, une version européenne et sa variante espagnole, une autre dite "Corinth" détenue par la société de distribution ainsi dénommée et qui, selon Peter Bogdanovich, serait la plus proche des intentions d'Orson Welles.
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