mercredi 25 mai 2005

L'Hiver sous la table


"... C'est tentant, bien sûr."

Lorsque le nom de Roland Topor est évoqué, les amateurs de cinéma que nous sommes pensent naturellement à sa contribution graphique à La Planète sauvage de René Laloux, au Locataire, adaptation à l'écran de sa nouvelle, "Le Locataire chimérique", par Polanski, ou encore à son interprétation de Renfield, une de ses participations en tant qu'acteur, au Nosferatu: Phantom der Nacht de Werner Herzog*. Mais l'éclectique co-fondateur du "Mouvement Panique" était aussi un homme de théâtre. Après avoir notamment mis en scène et signé les décors et les costumes de "Ubu Roi" au Théâtre de Chaillot en 1992, Topor renouvelle l'expérience pour sa dernière pièce, L'Hiver sous la table, créée au Théâtre Flamand de Bruxelles en 1996. C'est cette œuvre que l'actrice et réalisatrice Zabou Breitman a choisie pour sa première mise en scène théâtrale. Et ce coup d'essai est un coup de maître. Le délicat univers surréaliste et humoristique toporien est remarquablement compris et traduit, déclenchant spontanément l'enthousiasme et une réelle allégresse chez le public. Et chez le jury des "Molières", lequel lui a décerné, hélas à la sauvette**, six trophées à l'occasion de sa 18e "Nuit", le 19 avril 2004.
Dragomir, expatrié d'Europe centrale et cordonnier de son état, après avoir notamment logé dans une vieille chaudière, dans un caveau de famille et sous un lit, sous-loue, à titre de domicile et d'atelier, le dessous de la table-bureau de Mademoiselle Florence Michalon, une jeune traductrice aux modestes ressources financières. Entre Raymonde, son amie divorcée et Marc Thyl, son entreprenant éditeur, le nouveau locataire commence bientôt à prendre une place importante dans la vie de la jeune femme. C'est le moment que choisit Gritzka, le cousin violoniste de Dragomir, pour débarquer à l'improviste. Les dessous de table n'ont jamais été aussi animés... et justifiés !
Inconfortable de passer un Hiver sous la table ? Bien au con
traire, on aimerait que le printemps ne vienne jamais. Surtout lorsque Zabou Breitman règle la température. A partir de cette simple et absurde histoire d'assistance (confort en vieux français) et d'amour, Roland Topor, fils de réfugiés polonais, séparé précocement de ses parents, traite, avec une vraie-fausse légèreté, de thèmes encore vivaces, immigration, sans-abris, précarité, solitude. Avec un étonnant pouvoir de prédiction, il symbolise même cette "fameuse" dichotomie sociale (gens d'en-haut/gens d'en-bas) devenu un malheureux slogan politique. On ne peut, d'ailleurs, que conseiller à l'auteur de ce dernier, chef de gouvernement convalescent, de voir la pièce et de méditer sur son sens. Mais avec Topor, l'humour et l'érotisme ne sont jamais très loin. Et Zabou Breitman a su restituer, avec un savant minimalisme scénique (ombres chinoises, calendrier "nappal", coordination vestimentaire, entractes jambier ou pedestre), toutes les saveurs de cet étonnant face-à-jambes (fort jolies au demeurant). La réalisatrice de Se souvenir des belles choses a confié les principaux rôles à deux acteurs de son premier film. Isabelle Carré, au sex-appeal faussement négligé, et Dominique Pinon sont formidables et la cohérence de cette petite (en effectif) troupe contribue assez largement à la qualité du spectacle. Nous connaissions le génie de l'artiste méconnu Roland Topor ; Zabou Breitman confirme, avec cette première expérience théâtrale, tout le trom*** que nous lui trouvions déjà.
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*Topor, auteur de certaines des affiches de Die Blechtromme de Schlöndorff, est également le créateur ou co-scénariste des séries TV Téléchat, Merci Bernard et Palace.
**la cérémonie au Théâtre des Champs-Élysées n'a, en effet pour la première fois, pas été retransmise en direct sur une chaîne de télévision, à la suite d'un désaccord avec Jean-Michel Ribes, le metteur en scène prévu pour la soirée.
***talent, mais dont le sens, dans la langue de Dragomir et de Zolozol, peut aussi signifier sourire silencieux, présence d'un chat, fantôme..!

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