"Vous verrez, vous changerez... Comme nous tous."
Une des idées reçues les plus répandues affirme qu'il n'existe pas ou peu de films sur la guerre d'Algérie. C'est oublier un peu vite ceux de René Vautier, notamment Avoir vingt ans dans les Aurès, produits pendant et après les "événements". Mais aussi Lost Command de Mark Robson, évidemment La Battaglia di Algeri de Gillo Pontecorvo ou encore R.A.S. d'Yves Boisset*. Depuis le changement de siècle, cette sombre et obscure page de l'histoire de France a inspiré plusieurs scénarii, parmi lesquels ceux de La Trahison réalisé par Philippe Faucon et plus récemment Mon colonel de Laurent Herbiet. L'Ennemi intime, dernier développement en date sur le sujet, se donne les moyens narratifs et artistiques** susceptibles de marquer les esprits comme l'avaient fait, avant lui, certaines productions US à propos de la guerre du Viêt-nam. Le troisième film de Florent Emilio Siri, cité dans trois catégories techniques des derniers "César", n'a pourtant pas atteint son objectif commercial : attirer un million de spectateurs en salles***.
Juillet 1959, quelques part en Kabylie. Deux groupes de la même unité échangent un feu nourri au cours d'une confuse opération nocturne, faisant plusieurs victimes parmi lesquelles le lieutenant Constantin, sur le point de rentrer en France. Pour Terrien, son successeur, il s'agit d'une première affectation et l'officier subalterne découvre la réalité du terrain. Il sait néanmoins pouvoir compter sur l'expérience du sergent Dougnac et des hommes de son peloton pour mener à bien la mission fixée par le commandant Vesoul, trouver et éliminer Slimane, le chef des fellagha locaux. Lors d'une des nombreux incursions dans Taïda, Terrien s'oppose, au nom de ses principes, à la conduite d'un interrogatoire serré d'un enfant du village dont le frère aîné a rejoint la rébellion. Un peu plus tard, il tente en vain d'empêcher les tirs du détachement conduit par Dougnac sur ce qu'il croit être d'inoffensives marchandes, en réalité des hommes déguisés de Slimane chargés d'acheminer des armes.
Co-signé et "cautionné" par Patrick Rotman, L'Ennemi intime fictionnalise et stylise, à travers un récit centré sur deux personnages principaux et en utilisant les conventions du film de guerre hollywoodien, la copieuse documentation à l'origine de la série éponyme en trois parties (diffusée en mars 2002 sur France 3) dont l'historien est l'auteur. Le fil conducteur du scénario et sa démonstration sont identiques : la description de la spirale de la violence, du mécanisme de l'engrenage qui mène au basculement des individus dans la barbarie et la névrose et auquel "ni la culture, ni la religion, ni la morale" ne permettent de résister. L'idéalisme et l'humanité ne sont-ils pas, en général, les premières victimes d'un conflit, en particulier lorsque sa logique et ses enjeux n'apparaissent pas clairement à ceux qui y sont envoyés ?
L'apport proprement historiographique du film n'est pas considérable. Outre les textes d'ouverture et de clôture, les seules mentions dans ce domaine sont la phrase : "L'Algérie, c'est la France" prononcée le 7 novembre 1954 par François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur, placée dans une des répliques du capitaine Berthaut et la brève illustration de la manipulation de l'information ("... se prépare l'Algérie de demain"). Pas d'évocation de l'élection de De Gaulle à la présidence de la République ni de son "droit des Algériens à l'autodétermination" (sept. 1959). Revenu de son engagement étasunien, le "mercenaire" Florent Emilio Siri, né en 1965 soit trois ans après la signature des accords d'Evian, montre avec ce film explosif (au premier sens du terme) plus qu'il ne démontre, apanage d'une production destinée au plus grand nombre. Techniquement bien maîtrisé, doté de réelles qualités visuelles (beauté des paysages marocains, esthétique désaturation des couleurs), convenablement interprété, L'Ennemi intime se montre indéniablement intéressant et assez efficace sans toutefois rivaliser avec d'autres films de genre comparables tels Platoon ou Casualties of War.
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*auxquels on peut ajouter La Question de Laurent Heynemann, L'Honneur d'un capitaine de Pierre Schoendoerffer ou La Guerre sans nom, documentaire co-écrit par Patrick Rotman et Bertrand Tavernier.
**destinés à compenser la faiblesse relative du budget, compris entre 7 et 9M€.
***il n'en a réunit qu'un peu moins de la moitié seulement au cours de ses onze semaines d'exploitation après une entrée en quatrième position du box-off. derrière Un Secret et Resident Evil: Extinction.
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