mercredi 8 septembre 2004

The General (le mécano de la "général")


"Le héros d'un jour."

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Un pur chef-d'œuvre. Voilà comment pourrait, dans un monde parfait, se résumer la critique d'un tel film. Mais comme les mots et les expressions sont désormais galvaudés, il faut argumenter sur les qualités de The General. Celui-ci appartient à ce que l'on peut appeler "l'âge d'or" de la carrière de Buster Keaton. Débutée en 1923 avec Our Hospitality, cette époque est la plus créative, l'acteur et réalisateur jouissant d'une quasi totale indépendance artistique. The General en est le zénith. Inspiré d'événements réels qui se sont déroulés pendant la guerre de Sécession et relatés par un de ses acteurs, William Pittenger, dans un ouvrage paru en 1863, le film est tout à la fois réaliste, poétique et drôle, ce qui est une authentique gageure que n'ont réussit à tenir que des artistes d'exception, comme le grand "rival" Chaplin. Film historique, d'aventure, d'amour et burlesque, chacun de ses aspects narratifs est parfaitement maîtrisé dans une totale cohérence de l'ensemble. Il l'est aussi sur le plan de la réalisation et de l'interprétation.
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Johnny Gray (Buster Keaton), le mécanicien d'une locomotive baptisée "The General", a deux amours : sa machine et sa fiancée, Annabelle Lee (Marion Mack). Mais la guerre de Sécession arrive dans leur Georgie sudiste, Fort Sumter vient d'être attaqué. Les hommes font la queue pour s'enrôler, parmi eux le père et le frère d'Annabelle. Johnny, insouciant de cette nouvelle situation, est encouragé par celle-ci à faire de même. Son zèle à répondre à la demande de sa bien-aimée est tel qu'il arrive le premier au bureau d'enrôlement. Mais, lorsqu'il décline sa profession, on juge qu'il sera plus utile sur le rail et refuse son engagement. Croyant à de la lâcheté, Annabelle lui assène qu'elle ne le reverra pas avant qu'il n'ait endossé un uniforme. Un an plus tard, le général Thatcher et le capitaine Anderson de l'armée nordiste organisent le vol, pendant la pause déjeuner, du train, tracté par "The General", à Big Shanty, sur le trajet Marietta-Chattanooga. Le groupe d'espions emmène, malgré lui, Annabelle, partie rendre de visite à son père blessé et restée à bord. Johnny se lance, tout seul, à leur poursuite, d'abord à pieds, puis en draisine, en bicycle et finalement en train. Après maints obstacles et péripéties, il arrive sur les lieux de détention de sa dulcinée et est le témoin, caché, d'un plan d'attaque des lignes sudistes à Rock River. Annabelle libérée, il faut maintenant entreprendre de retourner vers le sud avec "The General", pourchassés par des militaires nordistes, et avertir le commandement confédéré.
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Ce qui frappe très rapidement en regardant (à nouveau) The General, c'est l'ambition du film. Les moins attentifs n'y verront qu'un jeu de trains électriques (à vapeur, à toute vapeur) grandeur nature. Il s'agit pourtant de la reconstitution fidèle de la fameuse "Great Locomotive Chase". Seul le point de vue a été changé. William Pittenger était un nordiste, Johnny Gray (William A. Fuller dans la réalité, accompagné d'un passager nommé Anthony Murphy) est un sudiste. Le tournage est également déplacé de la Georgie à l'Orégon, plus cinégénique et permettant d'utiliser les locomotives de l'époque des faits. La structure du film est parfaitement symétrique : 1. présentation des protagonistes, de la situation et leur interaction, 2. vol et poursuite vers le nord, 3. sauvetage d'Annabelle, 4. retour pourchassé vers le sud, 5. bataille de Rock River et dimension nouvelle du personnage central. La mise en scène et la remarquable photographie sont, d'ailleurs, elles-mêmes géométriques, utilisant volontiers les figures graphiques de la symétrie et du parallélisme. Le rythme est parfaitement soutenu, le déroulement des événement ne connaissant aucune baisse d'intensité. Le personnage, très attachant, de Johnny Gray est d'une grande richesse psychologique et comique. Incarnation particulièrement convaincante de la figure classique du héros malgré lui, d'abord mal jugé, il apporte ce décalage intéressant entre l'objectif individuel et l'enjeu collectif, voire national*. Cet aspect est particulièrement bien souligné par ces séquences dans lesquelles le train traversent la retraite sudiste et l'avancée nordiste dans des directions scéniques volontairement opposées... encore la symétrie. L'absence d'effets spéciaux, des cascades effectuées "sans filet", dans un environnement particulièrement périlleux donnent au film une qualité documentaire et une intensité dramatique inégalées. La prestation du comédien Keaton est tout bonnement époustouflante. A la fois par ses prouesses physiques et par l'humanité qu'il donne à son personnage, celui-ci démontre l'étendu incroyable de ses talents, dont une partie était également au service de la réalisation. Un pur chef d'œuvre, vous dis-je !

P.S. Il faut évoquer, de manière singulière, le nouveau score composé par Hisaichi. La partition est splendide mais on regrette parfois qu'elle soit un tout petit peu envahissante et nuise à la bonne lisibilité du film.
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*mis en relief par le fameux "If you lose this war, don't blame me (si vous perdez cette guerre, ne venez pas me le reprocher)" d'un candidat éconduit à l'enrôlement pour l'amour d'une femme, plus que de la patrie.

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