mercredi 8 septembre 2004

Les Grands duels du sport : Merckx/Ocana


Jamais duel entre deux sportifs n'a atteint cette dimension de tragédie comme celui entre Eddy Merckx et Luis Ocana. Les deux coureurs cyclistes sont arrivés à maturité au même moment, le début des années 1970. Tout les oppose, et le palmarès final, hélas, en témoignera*. Le belge Merckx est issu d'un milieu aisé. Bourreau de travail, seule la victoire l'intéresse et elle ne se refuse pas souvent à lui : 1 800 courses disputées, 525 victoires, ratio phénoménal pour le probable meilleur champion cycliste de tous les temps (la comparaison avec Fausto Coppi et ses successeurs est une affaire de spécialistes). Celui qui était surnommé le "Cannibale", "l'Ogre de Tervuren", le barbare selon l'expression d'Antoine Blondin ("Le Roi des uns") n'a laissé que des miettes à ses adversaires*, sujets d'un souverain toujours triomphant. Le seul résistant à cette toute puissance s'appelle Ocana. Espagnol de naissance, né dans une famille pauvre émigrée en France, le montais d'adoption, resté ibère, est un homme de courage et de douleur. Chevalier tourmenté et fataliste d'une conquête improbable, Don Quichotte solitaire sur lequel le sort s'est acharné.
Prologue : tout commence, ou presque, en 1969 au Tour de France, qui deviendra leur champs d'honneur. C'est la première participation pour les deux hommes et Merckx, maillot n°51, est intouchable, il est celui que l'on ne peut pas suivre, notamment dans son échappée du Ballon d'Alsace. Acte I : 1971. Ocana est en tête du classement du Tour de France, en remportant une victoire d'étape ahurissante au Puy de Dôme. Merckx réduit l'écart dans l'étape qui part de Marseille grâce à ce que son rivale qualifie de trahison. 12 juillet, 14e étape. Dans le col de Menté pyrénéen, un orage d'apocalypse inonde la course. Dans la descente, Merckx et Ocana chutent l'un derrière l'autre. "C'est Merckx qui est tombé le premier et qui a entraîné Ocana dans sa chute" racontera le grimpeur belge Lucien Van Impe, témoin de l'accident. "Ocana s'est relevé, il a regardé s'il pouvait repartir. Zoetemelk est arrivé, le choc a été affreux". Tous le monde s'accorde pour dire que, sans ce drame, Ocana aurait gagné cette année. Rideau. Acte II : 1972. Ocana est en tête du général. Dans le col de Soulor, le 9 juillet, il est victime d'une crevaison, repart en chasse, chute... et abandonne la course huit jours plus tard. Acte III : 1973. Le Tour aurait pu s'arrêter très tôt pour le coureur espagnol, avec une nouvelle chute dans la première étape néerlandaise. Mais Ocana remportera cette année, avec le dossard 51, sa seule "grande boucle" française, contre Van Impe, Poulidor, Zoetemelk et Fuente. Merckx ? Vainqueur des Tours d'Italie et d'Espagne, il est absent pour cause de programme trop lourd. La victoire d'Ocana n'a pas la saveur attendue. C'est l'inverse qui se produira dans l'épilogue de 1974, l'espagnol se blessant... sur chute dans une épreuve avant le Tour. Même après son arrêt de la course, celui qui était devenu le "martyre" du cyclisme continuera de voir le destin s'acharner sur lui.
Le documentaire de Philippe Kohly est intelligemment construit pour mettre en relief la dimension tragique des événements mais sans avoir recours à l'explicite ou au spectaculaire. On apprécie, en particulier, ces belles vues de "champs de bataille" déserts, réanimés par le seul commentaire sportif de l'époque. La narration de Philippe Faure et les compositions musicales participent aussi beaucoup à la qualité de cette épopée humaine. Les nombreux documents d'archives sont commentés par des témoins privilégiés ou des spécialistes (Pierre Cescutti, président du stade Montois, Olivier Dazat, historien du cyclisme, Philippe Brunel, journaliste, Josiane Ocana, épouse du coureur, Bernard Thevenet). Ce "Merckx/Ocana", remarquablement bien fait, intéressera aussi bien les amateurs que les profanes du cyclisme sur route professionnel.
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*Merckx : 5 Tours de France (34 victoires d'étapes), 5 Giro (25 victoires d'étapes) 1 Vuelta, 29 victoires dans des classiques, 4 victoires championnat du monde, recordman du monde de l'heure à Mexico en 1972 (49,431 km).
Ocana : 1 Tour de France (9 victoires d'étape), 1 Vuelta, 3 titres de Champion d'Espagne.

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