dimanche 6 juin 2004

Herz aus Glas (cœur de verre)


"Suis-je vraiment le dernier ? Suis-je vraiment le seul ?"


Tourné deux ans après Jeder für sich und Gott gegen alle ("Chacun pour soi et Dieu pour tous", bien différemment traduit dans les versions étrangères), Herz aus Glas est, ce que l'on pourrait appeler, du cinéma expérimental. On connaît les méthodes particulières de Werner Herzog en matière de direction d'acteurs. Avec ce film, il va plus loin puisqu'il recrute par petites annonces, aux côtés de comédiens confirmés, des volontaires pour interpréter, sous hypnose, des personnages principaux ou, simplement, figurer. Le résultat est très surprenant. Plus que l'étrangeté "naturelle" qui se dégage du film, on assiste à un spectacle inouï, jamais vu au cinéma, inconcevable a priori et plutôt prodigieux a posteriori.
A la fin du XVIIIe siècle, quelque part en Bavière, le propriétaire d'une verrerie devient follement obsédé par la perte de la méthode de fabrication du goldrubinglas (verre-rubis)* liée au décès de son maître-verrier. Hias (Josef Bierbichler), à la fois vacher et prophète, annonce la destruction de la verrerie et, plus généralement un "effondrement imminent". Les deux personnages se croiseront en prison, avant que Hias, libéré, n'affronte un ours imaginaire. Dans un îlot rocheux et désolé, des hommes embarquent sur une frêle embarcation pour traverser un océan, longuement accompagnés par les mouettes.
C'est, radicalement, l'un des films les plus incroyables qu'il soit donnés de voir. A partir d'une légende bavaroise, celle de Mühlhias, réécrite par Herbert Achternbusch**, Herzog réunit donc prophétie et hypnose pour tenter de ciseler***, en bon artisan, un conte situé dans la région de son enfance. Passé les premiers instants particulièrement déroutants, on est littéralement happé par l'atmosphère de transe qui émane du film. Le but avoué du réalisateur est d'arriver à hypnotiser également le spectateur. Hélas ! Les non-germanophones ne peuvent parvenir à cet état, le rempart de la langue étant infranchissable. Après avoir mis fin**** à l'engagement d'un spécialiste, c'est Herzog, lui-même, qui s'est chargé d'hypnotiser les acteurs. Une équation à deux inconnus a été résolue : l'hypnotisé peut conserver les yeux ouverts et communiquer avec son entourage. Bien entendu, à partir d'une cadre scénaristique donné et d'une direction de jeu presque absolue, il a fallu laisser un espace d'improvisation suffisant. Encore une fois, le résultat est surprenant à plus d'un titre.
Cette atmosphère quasi onirique, renforcée par un rythme d'une grande lenteur, est unique. La personnalité réelle des acteurs, sans protection, est dévoilée à travers une diction et une gestuelle non conventionnelles. L'hermétique du film est parachevée par l'usage d'un dialecte bavarois, aspect qui ne trouble que le germaniste (le moins érudit !) et la double séquence d'images de chute d'eau ou de parcs naturels destinées à créer ou entretenir l'état de transe. Un dernier détail qui a valeur d'amicale recommandation : il faut voir le film à deux reprises, une première fois "brut de verrerie", une seconde fois, mise en lumières par les nécessaires commentaires du réalisateur qui l'accompagnent.
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*verre de couleur rouge obtenu grâce à l'adjonction de chlorure d'or dans la pâte. Breveté en 1679 par Johann Kunckel, ce procédé fut rapidement abandonné en raison de son prix de revient très élevé.
**écrivain, mais aussi acteur et réalisateur. Il a, précédemment, collaboré avec Herzog sur Jeder für sich und Gott gegen alle.
***je n'ose pas dire : souffler !
****pour une raison que je vous laisse découvrir dans le commentaire.

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