jeudi 3 juin 2004

Aguirre, der Zorn Gottes (aguirre, la colère de Dieu)


"Tu laisses les hommes suivre leur chemin. Tes jours n'ont pas de fin."

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Troisième long métrage (si l'on exclut Fata Morgana qui est un moyen métrage) de Werner Herzog, Aguirre, der Zorn Gottes conserve encore aujourd'hui, malgré les (plus de trente) ans, une force et une originalité troublantes. Présenté en section parallèle à Cannes en 1973, il est sélectionné dans la catégorie "meilleur film étranger" des Césars 1976* (qui lui préfèrent Profumo di donna de Dino Risi) et reçoit, la même année, le prix du Syndicat français des critiques de cinéma. Au delà de la reconnaissance critique (Herzog n'a, d'ailleurs, jamais été un "chouchou" de festival), Aguirre... est un film clé des années 1970, la meilleure réalisation, et de loin, qui prenne pour toile de fond cette période de l'histoire (coulées, laminées les superproductions des Ridley Scott et autre John Glen), et la démonstration évidente que l'on peut créer un film d'aventure envoûtant sans effets spéciaux**.
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Fin 1560, une expédition espagnole, commandée par Gonzalo Pizarro (Alejandro Repulles), part à la recherche de l'Eldorado, une contrée mythique imaginée par les indiens, misérablement opprimés par les conquérants. Le moine Gaspar de Carvajal (Del Negro) en tient le journal de l'aventure. Après avoir rencontré les pires conditions topographiques et bientôt à cours de vivres, Pizarro décide de construire trois radeaux et d'envoyer une quarantaine d'hommes sur un affluent de l'Amazone à la recherche de nourriture et de population civilisée. Don Pedro de Ursua (Ruy Guerra) est placé à la tête de ce détachement, secondé par Don Lope de Aguirre (Klaus Kinski). Inez (Helena Rojo), l'épouse du premier et Flores (Cecilia Rivera), la fille d'Aguirre, les accompagnent. Le périple tourne rapidement à l'absurde tragédie. Malmenés par les rapides du fleuve, décimés par la faim, la maladie et d'invisibles indiens probablement cannibales, le groupe devra surtout affronter la division et le meurtre, instruments de l'illuminé Aguirre pour conquérir la terre et la gloire. Le récit prend fin le 22 février 1561.
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Une aventure dans l'aventure. Le réalisateur a écrit, dans une urgence fiévreuse, le scénario très librement inspiré du journal de Gaspar de Carvajal, du personnage de Don Lope de Aguirre et du dictateur africain Okello. Avec un modeste budget de 360 000$, Werner Herzog part au Pérou avec une caméra volée, une petite équipe de huit techniciens, un casting international (dont le réalisateur brésilien Ruy Guerra), des débutants (certains, telle Cecilia Rivera, le sont restés !) et des amis. Il recrute sur place quatre cent cinquante figurants et acquière... quatre cents singes. Les conditions de tournage sont particulièrement pénibles. Le résultat est, au moins, à la hauteur de la peine. Avec son inimitable réalisme poétique, Herzog crée une œuvre maîtresse.
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Entre tragédie et fable, Aguirre... délivre un message dérangeant, aux significations multiples, loin, très loin du décorum boursouflé des mythes wagnériens. Le tumulte et le désordre apparents de la nature s'opposent à ceux qui envahissent les esprits tourmentés par la quête de richesse et de pouvoir. Dans cette confrontation inégale, c'est la nature, évidemment, qui l'emportera. Dans la volonté effrénée (de puissance et) de bâtir un empire, on détruit deux civilisations. L'église n'est pas épargnée, qui, se rangeant "du côté des puissants pour la gloire de son seigneur", participe à cet ethnocide. Signalons, au passage, deux épisodes essentiels : le débarquement forcé du cheval qui coïncide, étrangement, avec la perte des derniers signes d'humanité de cette communauté à la dérive. Et la vision fantastique, onirique et illusoire du navire sur un arbre (qui, dix ans plus tôt, préfigure symboliquement Fitzcarraldo), marque définitive du point de non-retour de l'expédition, le passage à l'au-delà du réel***.
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Avec une caméra unique, une majorité volontaire de gros plans et des prises d'une lenteur hypnotique, le réalisateur nous fait, à la fois, entrer dans la psychologie des personnages et nous enferme dans un huis-clos paradoxal, à la limite de la claustrophobie (accentuée par le format). Le malaise, croissant, est presque palpable, l'inquiétude permanente. Cette atmosphère est particulièrement bien "nourrie" par la prestation tout bonnement incroyable de Klaus Kinski, "le seul choix possible" pour le rôle d'Aguirre. Avec sa démarche claudicante, ses regards de dément et sa brutalité soudaine et débridée (pas seulement à l'écran, si l'on en croit Herzog), il incarne l'archétype de la folie cinématographique pour encore quelques siècles. Même l'étonnant Norman Bates campé par l'excellent Anthony Perkins peut aller se recasquer ! Autre atout "atmosphérique" du film : la bande son, entièrement postsynchronisée et enrichie par les boucles musicales de Frank Fielder.
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*sorti tardivement en salles car destiné, à l'origine, à la télévision.
**n'est-ce pas, Mr. Jackson !
***le film est souvent rapproché de l'Apocalypse Now de Coppola. Si ce parallélisme est, sur certains points, justifié, on ne pense jamais à rappeler qu'Aguirre, der Zorn Gottes est, sur les plans narratif et thématique, très proche du Delivrance de Boorman... sorti la même année !



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