samedi 19 juin 2004

Ken Park


"T'es pas content que ta mère t'ait gardé ?"

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Ce cinquième film de Larry Clark, co-réalisé avec le chef-opérateur Ed Lachman et financé par des capitaux européens, reste largement inspiré par les thèmes de ceux qui l'ont précédé : jeunesse, drogue, sexe et meurtre. Pourtant, l'idée de Ken Park est née dès avant Kids*, son premier film. Les histoires parallèles et/ou croisées des cinq adolescents sont tirées, pour l'essentiel, de faits divers réels, un peu comme un certain Elephant. Les deux films sont, par plusieurs aspects, assez proches. Tous les deux font une description inquiétante, parce que réaliste, de la jeunesse américaine. Gus Van Sant est d'ailleurs un admirateur déclaré de Larry Clark**, on peut même imaginer qu'il ait vu Ken Park avant de réaliser son propre film. Le public qui ne l'a pas vu a surtout retenu sa réputation et la polémique qui a entouré sa sortie. Présentation houleuse en sélection officielle à la Mostra de Venise 2002, interdiction pure et simple au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie (argument promotionnel dans les autres pays !). Toute cette agitation était-elle justifiée ?
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Entre un prologue et un épilogue sur le cas Ken Park, ce jeune homme qui a filmé son suicide au milieu d'une piste de skate, le film suit une brève tranche de vie de quatre adolescents. Shawn, dont le cercle familial se résume à sa mère et son petit frère, est le personnage le moins torturé. Plutôt que d'aller au collège, il couche avec Rhonda, la mère de sa petite amie Hannah. Claude, aux relations quasi ombilicales avec sa mère enceinte, a des relations difficiles avec son père, un récent chômeur haltérophile et alcoolique qui le trouve trop efféminé. Dans un moment de profond vague à l'âme éthylique, celui-ci se laisse aller à des attouchements nocturnes sur son fils. Peaches, orpheline de mère, vit avec un père chrétien mystique, tendance démence baroque. Surprise au lit avec son petit ami, elle doit subir une parodie de mariage avec son géniteur. Tate vit avec ses grands parents qu'il ne supporte pas. Une nuit, il les poignarde dans leur sommeil. Tous sont des Ken Park en puissance.
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La question est donc : Ken Park mérite-t-il sa réputation sulfureuse ? Au delà du voyeurisme (le terme pornographique, si on le compare à d'autres films, ne s'impose pas) et du côté racoleur, évident dès l'affiche, il faut peut-être décomposer la question en la reformulant ainsi : 1- quelle était l'intention (l'ambition ?) de Larry Clark ? Apologie du nihilisme ou critique sociale ? Après avoir vu le film, on ne peut, décemment, pas répondre*** de manière catégorique. Et c'est un élément à charge. 2- comment le public, en particulier le jeune (de plus de 15 ans), l'a-t-il vu ou le verra-t-il ? Se laissera-t-il séduire par cet esthétisme violent et sexuel, aveu manifeste et recours compensatoire à une carence tragique d'amour ? Ou, au contraire, sera-t-il écoeuré par cette crudité pathétique et illusoire ? On souhaite qu'il opte pour la seconde attitude ; mais on n'y croit pas vraiment. Auquel cas, le film est sournois et dangereux.
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Il recèle pourtant, si on y prête attention, des éléments qui plaident en sa faveur. D'abord, le mal, à tort ou à raison, paraît circonscrit. Chacun des cinq personnages vit dans un environnement où le déséquilibre crée le drame : absence du père, de la mère, des deux parents, absence de dignité, refus de la responsabilité (i.e. de quitter l'enfance). Ensuite, le réalisme, même soigné, des images, ce voyeurisme dont il a déjà été question (masturbation, copulation) n'ont, objectivement, rien de séduisant, bien au contraire. Enfin, il faut garder à l'esprit ce que confesse un jeune pendant la séance de narguilé : mieux vaut avoir une famille, même imparfaite, que pas de famille du tout (toute la suite semble ne pas tenir compte de ce conseil). Les trois générations, qui apparaissent dans le film, sont, de manière évidente, en déphasage : la plus ancienne ne parvient pas à communiquer avec la plus jeune, et donc, à avoir un "ascendant" suffisant sur elle. La génération intermédiaire vit dans le passé (illustré, symboliquement, par les photographies) ; la dernière, instrumentalisée par celle-ci, redoute le futur. Aucune n'est épargnée.
Alors, condamnation ou disculpation ? On est tenté d'accorder à Ken Park le bénéfice du doute plus que des circonstances atténuantes.
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*les scripts des deux films ont été confiés au même scénariste, Harmony Korine.
**tout comme l'est Martin Scorsese.
***notamment à cause de la scène de sexe qui précède l'épilogue.



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