"C'est le regard qui fait le magicien, tout est là."
Akira Kurosawa confessait avoir été profondément et durablement marqué par son exploration, aux côtés de son cher frère aîné*, des ruines de Tôkyô à la suite du tremblement de terre de Kantô en septembre 1923. Mais que savons-nous de l'enfance des John Ford, Luis Buñuel, George Cukor, Charles Chaplin ou Woody Allen (qui n'était pourtant pas avare de révélations sur le sujet dans ses premiers films) et tant d'autres ? C'est à cette intéressante question que le collectif Enfances apporte une réponse partielle. A partir d'une idée authentiquement inédite et de scénarii originaux signés ou co-signés par Yann Le Gal, cette collection de six courts métrages nous souffle à l'oreille (et offre au regard bien sûr !) une anecdote, un événement survenu, au cours de cette période cruciale, à un futur grand réalisateur de cinéma susceptible d'avoir bouleversé son existence et influencé son œuvre.
La relation à la mère occupe une place significative et signifiante dans ces brefs récits. La découverte de sa judéité par Fritz Lang, l'expérience du deuil chez Orson Welles, l'ambiguïté, vraisemblablement traumatique, vis à vis de la femme chez Alfred Hitchcock encouragée par une figure maternelle dominatrice et bigote dont la probable origine est ici remarquablement mise en scène en noir et blanc par Corinne Garfin. Le segment du duo Hadjithomas-Joreige souligne avec intelligence et humour la singularité, la savante marginalité ainsi que l'esprit d'indépendance qui caractérisaient l'inoubliable Jacques Tati(scheff). Les deux dernières parties du film relatent l'apprentissage de l'altérité et, fugitivement, des premiers émois sexuels chez Jean Renoir, celle de la disharmonie et de la culpabilité chez Ingmar Bergman.
Film(s) d'époque, tourné(s) sans parti pris (ni certainement ressources) ostentatoire(s) mais avec un sérieux et un soin évidents, Enfances peut également compter sur une talentueuse distribution, composée d'acteurs confirmés et de jeunes garçons (parmi lesquels Virgil Leclaire doit être le plus aguerri) judicieusement choisis pour interpréter les illustres personnages en question. Les qualités de cette production doivent permettre d'attirer un large public, cinéphile ou pas, et, pourquoi pas, donner naissance à une série où certains secrets d'enfance de Scorsese (Wilder, Hawks ou Spielberg), Truffaut (Godard ou Malle), Kubrick (Powell ou Lean), Fassbinder (Wenders ou Herzog), Fellini (Minnelli ou Visconti), Polanski et quelques autres nous seraient enfin révélés.
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*grâce auquel, benshi (narrateur) de films muets, il a découvert le Septième art.
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