"... Quoi qu'il en coûte."
Trop prégnante dans la vie quotidienne de leurs compatriotes, la guerre ne constitue que rarement le sujet principal choisi par les cinéastes israéliens. A l'exception de documentaires, seuls Gmar gavi'a d'Eran Riklis et Kippur tiré par Amos Gitai à partir de sa propre expérience pendant le conflit de 1973 peuvent être mentionnés, avec réserves, dans ce genre. Une courte liste donc à laquelle s'ajoutent les récents Beaufort et Waltz with Bashir, la coproduction animée d'Ari Folman, en compétition à Cannes cette année. Adapté du remarquable ouvrage de Ron Leshem, "Im iech Gan 'Eden" (s'il y a un paradis) publié en 2005, le troisième film de Joseph Cedar s'intéresse d'abord aux hommes plus qu'à l'Histoire. La seconde lecture sur la dialectique solidarité-rivalité, l'échec et l'absurdité de la guerre enrichit le premier niveau en lui donnant une dimension allégorique et une portée plus large. Le réalisateur a obtenu "l'Ours d'argent" 2007 pour sa seconde participation à la Berlinale, Beaufort représentant également son pays* dans la catégorie "meilleur film en langue étrangère" à la dernière cérémonie des Academy Awards.
Installé depuis juin 1982 sur la hauteur stratégique de Beaufort, site au Sud-Liban d'un château croisé du XIIe siècle précédemment occupé par l'O.L.P., Tsahal est sur le point de la quitter dans le cadre du retrait de sa zone de sécurité. Réduits, sous les tirs d'obus quotidiens du Hezbollah, à une pure et vaine mission d'observation, les soldats ont à présent pour la plupart hâte de rentrer chez eux. Ziv Faran, envoyé sur place pour tenter de neutraliser un dispositif probablement explosif sur la route d'accès à la forteresse, meurt en déclenchant une mine placée à proximité de l'engin. Oshri, proche camarade du commandant de l'unité Liraz 'Erez' Librati et bientôt démobilisé, est blessé et évacué puis Tomer Zitlawi est à son tour victime d'un missile ennemi pendant son tour de garde dans l'avant-poste de Yarok.
"Je n'en veux qu'à moi-même." Cet aveu en forme de verdict, prononcé au cours de l'une des scènes déterminantes du film, résume assez bien l'esprit et les sentiments dominants (peur, impuissance, perte et culpabilité) qui animent, voire incarnent Beaufort. Quelque part à l'intérieur d'un triangle scalène dont les sommets seraient occupés par Il Deserto dei Tartari, The Thin Red Line et Letters from Iwo Jima, cet étonnant drame, à la fois classique et puissamment original, captive (fascine et hypnotise conviennent aussi) de façon mystérieuse. D'abord par une quasi absence de gras narratif dans un métrage d'un peu plus de deux heures, sorte de scopie pulsée entre réalisme et fantasmagorie. Ensuite par l'influence transversale (inconsciente ?) d'Albert Camus, de sa parabole sisyphienne de l'absurde à son idéologie de la révolte**. Enfin par la sèche efficacité de la réalisation (et de la production dans son ensemble, notamment sonore, récompensée par quatre "Ophir" sur dix nominations de l'Académie du film israélien) et celle d'un collectif d'acteurs emmené par l'excellent Oshri Cohen (Ha-Kochavim Shel Shlomi), second rôle déjà dans le précédent film de Joseph Cedar.
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*vingt-tois ans après Me'Ahorei Hasoragim et en remplacement d'un Bikur Ha-Tizmoret jugé trop anglophone.
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