"Mais puisque je suis heureuse, ce n'est pas une illusion."
Il existe une évidente et frappante parenté entre certaines des œuvres précédentes(1) de Marcel Pagnol et le méconnu "Naïs Micoulin" d'Emile Zola paru en 1884 (soit entre "La Joie de vivre" et "Germinal" de la série des Rougon-Macquart) à l'origine de cette libre adaptation. Initiateur du projet, Raymond Leboursier, monteur notamment de Jean Dréville ou Marcel L'Herbier et réalisateur d'un premier film avec Raimu et Fernandel,
est chargé de sa direction. La production réunit un groupe d'acteurs
ayant tous déjà collaboré avec les deux cinéastes auquel s'ajoutent Germaine Kerjean, future pensionnaire de la Comédie Française, et le jeune Niçois Raymond Pellegrin dont la carrière au cinéma avait débuté deux ans auparavant. Naïs est aussi le premier film de Pagnol avec Jacqueline Bouvier, rencontrée en 1938 et qui deviendra sa dernière épouse peu après la fin du tournage.
Employé dans la fabrique de tuiles de sa petite localité proche de Cassis, Toine est secrètement amoureux de Naïs, la fille unique du veuf Micoulin. Mais il sait que la bosse dont la nature l'a pourvu ne lui permet pas d'espérer être aimé en retour. Son ami Henri Bernier, ingénieur de l'usine, le réconforte en lui racontant les exploits amoureux du duc de Lauzin, bossu comme lui(2). Naïs est allée à Aix apporter chez les Rostaing,
propriétaires des terrains donnés en métayage à son père, les primeurs
et poissons envoyés chaque mois par ce dernier. Elle y croise leur fils Frédéric,
dilettante étudiant en droit préférant secrètement le jeu et la
compagnie des femmes. Le jeune homme est aussitôt charmé par la beauté
de celle qui n'était encore qu'une adolescente lorsqu'il l'avait
embrassée pendant les vacances, trois ans auparavant. Cette rencontre le
motive fortement à passer ses prochains congés dans la demeure de ses
parents confiée aux Micoulin. Naïs, éprise de Frédéric depuis longtemps, succombe rapidement à ses avances. Une nuit, Toine les surprend enlacés près des ruines du terrain.
Passade sentimentale, opposition entre la campagne et la ville(3)
et entre milieux sociaux, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Il y a
effectivement une troublante permanence dans les thèmes traités chez Marcel Pagnol. Naïs
se démarque toutefois par au moins deux autres contrastes suggérés par
le romancier du XIXe, dont on connaît la fascination pour la forte
charge dramatique de l'hérédité. Un conflit de générations, manifeste à
la fois chez les Rostaing et les Micoulin, caractérisé
par le désir, parfois farouche, d'une permanence chez les parents et le
"luxe" d'une certaine fugacité dont se parent les deux jeunes gens.
L'importance accordée à l'apparence au détriment de l'essence, motif
narratif sur lequel repose le scénario à l'exception de la fin, purement
et simplement inversée par rapport à celle de l'ouvrage de Zola. Si la rayonnante interprétation de Jacqueline Bouvier (alternant entre une diction demazisienne ou septentrionale !) ne peut être passée sous silence, c'est encore à celle de Fernandel, dont le personnage inspirera celui de Jean de Florette, que le film doit son intensité et son humanité.
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1. notamment Angèle (Jean Giono) et La Fille du puisatier.
2. sauf erreur, Antonin Nompar de Caumont, premier duc de Lauzun et favori de Louis XIV, n'était pas cyphotique.
3. au moment où s'amorce l'inexorable exode rural que connaitra la France au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
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