"... Une dure chute."
Succédant à l'épique tournage péruvien d'Aguirre et à un moyen métrage documentaire consacré au (futur double) médaillé d'or suisse de vol à ski Walter Steiner, Jeder für sich und Gott gegen alle (litt. "chacun pour soi et Dieu contre tous") se déroule plus paisiblement en Bavière. Mais Werner Herzog
ne rompt pas pour autant avec le mythe. Kaspar Hauser est, en effet, un
des personnages les plus énigmatiques du XIXe siècle, à l'égal du
légendaire "Homme au masque de fer" du centenaire précédent. Célébré
dans "Sagesse" par Paul Verlaine, "l'orphelin de l'Europe" ne pouvait qu'inspirer le réalisateur allemand comme il l'avait fait, avec un résultat très différent, pour son compatriote Robert A. Stemmle (surtout connu pour Berliner Ballade) avant lui. Sélectionné à Cannes en 1975, Jeder für sich... y a reçu trois prix dont le "Grand prix" du jury présidé par Jeanne Moreau.
Un
jeune adulte est claustré dans une cave depuis son plus jeune âge. Un
jour, l'homme, qui le nourrit de pain et d'eau, le revêt d'une veste,
lui enfile des bottes et l'emmène dans la ville de N. Il le laisse,
immobile, sur une des places, un livre de prières et un chapeau dans une
main, une lettre anonyme dans l'autre. Dans celle-ci, un habitant
intrigué par le personnage découvre un message adressé au commandant en
chef du "4e escadron du 6e régiment de chevau-légers" auquel le géniteur
de l'inconnu aurait appartenu. Identifié comme Kaspar Hauser
grâce aux seuls mots qu'il sache griffonner, le jeune homme est d'abord
logé dans une tour-prison avant d'être accueilli dans la brave famille
du gardien puis chez Monsieur Daumer. C'est au contact de ce dernier que Kaspar va apprendre à améliorer son discours, à lire, à écrire et même à jouer, certes maladroitement, du piano.
Ce n'est évidemment pas la dimension historico-dramatique de cet insolite personnage qui intéresse d'abord Werner Herzog.
Dans un souci de véracité, il n'aurait d'ailleurs pas arrêté son choix
sur un débutant quadragénaire pour incarner un adolescent de dix-sept
ans. Quatre ans après L'Enfant sauvage de François Truffaut,
ce n'est pas non plus la délicate et exclusive relation entre nature et
culture qui l'a primitivement incité à produire le film. Cet aspect
motivera en revanche la psychanalyste spécialiste de l'enfance Françoise
Dolto pour préfacer l'étude consacrée à Kaspar Hauser par le
criminaliste Anselm von Feuerbach, venu à Nuremberg quelques semaines
après sa subite apparition. Jeder für sich... est un tragique mais éclairant conte philosophique et moral où il est (encore) question de renaissance et d'aliénation. Sur fond de basculement du rapport de force entre religion et science*, Herzog développent une thématique assez proche de celle du bouc émissaire
que formulera en 1982 l'historien René Girard. La profonde lucidité que
possède, grâce à sa simplicité, sa sincérité et sa sensibilité, Kaspar
Hauser y constituerait le bien à l'origine de son sacrifice. Le film ne serait bien sûr pas aussi fort sans l'interprétation de Bruno S.chleinstein dont l'enfance n'a, hélas, rien à envier à celle de son personnage.
___
*dans le siècle où l'industrialisation et la démocratie vont
triompher, l'une déclare : "s'il ne comprend pas, qu'il croie !",
l'autre affirme : "je n'ai pas appris à comprendre mais à déduire."
(répliques, à distance, du scénario)
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