Le succès de Diva, inattendu au moins pour la critique, a-t-il donné trop d'ambition à Jean-Jacques Beineix
pour son film suivant ? Lorsque l'on y réfléchit bien, il n'y a pas de
différences fondamentales, hormis le coût, entre les approches
créatrices de cet innovant premier film et de La Lune dans le caniveau.
La même utilisation conjointe, mixtion poussée ici jusqu'à l'absurde,
du baroque et du réalisme, du lyrisme et du prosaïque caractérise les
deux productions. C'est au niveau de l'influence narrative qu'il faut
chercher les dissemblances, le réalisateur troquant la très chandlérienne histoire de l'écrivain suisse Daniel Odier alias Delacorta pour le roman publié en 1953 de David Goodis.
Il faut, évidemment, s'abstenir de juger cette adaptation à l'aune de quelques précédentes, Dark Passage de Delmer Daves en premier lieu, Nightfall de Jacques Tourneur et The Burglar* de Paul Wendkos sortis la même année, ou encore Tirez sur le pianiste de François Truffaut. Même s'il privilégie encore le décor et l'accessoire au détriment de l'intrigue, Beineix rend assez bien l'atmosphère sordide et désespérée de l'ouvrage rédigé par Goodis après son retour à Philadelphie dont il fréquente les bas-fonds. Présenté à Cannes, La Lune dans le caniveau a permis au décorateur Hilton McConnico d'être récompensé d'un "César" l'année suivante.
Dans le quartier miséreux d'une cité portuaire, Gérard Delmas traîne son existence entre son boulot de docker et la fréquentation de bars interlopes. C'est dans l'un de ceux-ci qu'il fait la connaissance de Newton Channing puis de sa sœur Loretta, orphelins déroutés d'une famille riche installée dans les hauteurs de la ville. La belle et élégante jeune femme semble vivement apprécier Gérard, intrigué par l'intérêt qu'il suscite. Celui-ci retourne pourtant dans la pauvre maison qu'il partage avec son père Tom, Lola, la compagne de ce dernier, et son jeune et pitoyable frère Frank. Ainsi qu'avec la jalouse Bella dont il ne partage plus guère la couche. Tout en se laissant progressivement prendre au petit jeu de la troublante et énigmatique Loretta, Gérard suit inlassablement son obsession : trouver l'agresseur de sa sœur Catherine qui s'est tranchée la gorge après avoir été violée et dont le sang colore encore le trottoir de l'impasse où s'est déroulé le drame.
Le film produit par Lise Fayolle et la Gaumont ne constitue pas la première rencontre de Jean-Jacques Beineix avec David Goodis puisque celui-là était le second assistant de René Clément sur La Course du lièvre à travers les champs. "The Moon in the Gutter" était un roman noir, "humain, trop humain" comme la plupart des ouvrages de l'auteur. Le film qu'en a tiré Beineix, tourné à Cinecittà, est davantage un psychodrame social dans lequel sont traités, sur un mode onirico-fantasmagorique, les thèmes du désir (incestueux en filigrane), de la hantise et de la fatalité. En déployant tant d'énergie et de moyens à amplifier la forme et la théâtralité, le réalisateur prête naturellement le flanc à la facile critique de superficialité et/ou de prétention.
Le véritable handicap de ce deuxième long métrage est la pulsation que lui imprime Beineix. Diva était à la fois contemplatif et rythmé, La Lune dans le caniveau se noie dans une torpeur lourde que les quelques scènes d'action ne parviennent pas à secouer. L'interprétation des acteurs participe également à cette puissante pesanteur. Gérard Depardieu, lorsqu'il n'est pas amené à singer le Terry Malloy joué par Marlon Brando dans On the Waterfront, ne réussit pas à donner à son personnage la complexité et le déséquilibre nécessaires. Loretta, sous les traits de Nastassja Kinski, manque, quant à elle, singulièrement de consistance et de séduction pour animer (ou empoisonner, au choix !) l'intrigue. Seules Victoria Abril et la tonitruante Bertice Reading apportent un peu de relief à ce film moderno-kitsch qui a, curieusement, plutôt bien résisté à l'épreuve du temps ; mieux en tous cas que Rue barbare de Gilles Béhat.
___
*actualisé par Henri Verneuil en 1971 avec Le Casse.
Il faut, évidemment, s'abstenir de juger cette adaptation à l'aune de quelques précédentes, Dark Passage de Delmer Daves en premier lieu, Nightfall de Jacques Tourneur et The Burglar* de Paul Wendkos sortis la même année, ou encore Tirez sur le pianiste de François Truffaut. Même s'il privilégie encore le décor et l'accessoire au détriment de l'intrigue, Beineix rend assez bien l'atmosphère sordide et désespérée de l'ouvrage rédigé par Goodis après son retour à Philadelphie dont il fréquente les bas-fonds. Présenté à Cannes, La Lune dans le caniveau a permis au décorateur Hilton McConnico d'être récompensé d'un "César" l'année suivante.
Dans le quartier miséreux d'une cité portuaire, Gérard Delmas traîne son existence entre son boulot de docker et la fréquentation de bars interlopes. C'est dans l'un de ceux-ci qu'il fait la connaissance de Newton Channing puis de sa sœur Loretta, orphelins déroutés d'une famille riche installée dans les hauteurs de la ville. La belle et élégante jeune femme semble vivement apprécier Gérard, intrigué par l'intérêt qu'il suscite. Celui-ci retourne pourtant dans la pauvre maison qu'il partage avec son père Tom, Lola, la compagne de ce dernier, et son jeune et pitoyable frère Frank. Ainsi qu'avec la jalouse Bella dont il ne partage plus guère la couche. Tout en se laissant progressivement prendre au petit jeu de la troublante et énigmatique Loretta, Gérard suit inlassablement son obsession : trouver l'agresseur de sa sœur Catherine qui s'est tranchée la gorge après avoir été violée et dont le sang colore encore le trottoir de l'impasse où s'est déroulé le drame.
Le film produit par Lise Fayolle et la Gaumont ne constitue pas la première rencontre de Jean-Jacques Beineix avec David Goodis puisque celui-là était le second assistant de René Clément sur La Course du lièvre à travers les champs. "The Moon in the Gutter" était un roman noir, "humain, trop humain" comme la plupart des ouvrages de l'auteur. Le film qu'en a tiré Beineix, tourné à Cinecittà, est davantage un psychodrame social dans lequel sont traités, sur un mode onirico-fantasmagorique, les thèmes du désir (incestueux en filigrane), de la hantise et de la fatalité. En déployant tant d'énergie et de moyens à amplifier la forme et la théâtralité, le réalisateur prête naturellement le flanc à la facile critique de superficialité et/ou de prétention.
Le véritable handicap de ce deuxième long métrage est la pulsation que lui imprime Beineix. Diva était à la fois contemplatif et rythmé, La Lune dans le caniveau se noie dans une torpeur lourde que les quelques scènes d'action ne parviennent pas à secouer. L'interprétation des acteurs participe également à cette puissante pesanteur. Gérard Depardieu, lorsqu'il n'est pas amené à singer le Terry Malloy joué par Marlon Brando dans On the Waterfront, ne réussit pas à donner à son personnage la complexité et le déséquilibre nécessaires. Loretta, sous les traits de Nastassja Kinski, manque, quant à elle, singulièrement de consistance et de séduction pour animer (ou empoisonner, au choix !) l'intrigue. Seules Victoria Abril et la tonitruante Bertice Reading apportent un peu de relief à ce film moderno-kitsch qui a, curieusement, plutôt bien résisté à l'épreuve du temps ; mieux en tous cas que Rue barbare de Gilles Béhat.
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*actualisé par Henri Verneuil en 1971 avec Le Casse.
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