"Ne vous inquiétez pas, M. Klimt. La vraie n'est pas plus vraie que la fausse."
Les films de fiction consacrés aux grands peintres ne sont pas légion. Pollock, Frida (Kahlo) et Girl With a Pearl Earring (sur Johannes Vermeer), les trois productions précédant Klimt, sans être médiocres, n'ont pas vraiment fait impression. Au rang des œuvres significatives figurent Rembrandt d'Alexander Korda, le saisissant Lust for Life de Vincente Minnelli ou Vincent & Theo de Robert Altman auxquels il faudrait ajouter le Camille Claudel de Bruno Nuytten et le remarquable La Belle Noiseuse de Jacques Rivette, tous deux à la périphérie de la catégorie puisque l'amante de Rodin était sculpteur et Edouard Frenhofer un personnage imaginaire. Imaginaire, le Klimt de Raoul Ruiz
l'est aussi en grande partie. Comme l'on peut s'y attendre, l'aspect
purement biographique et réaliste n'intéresse absolument pas le cinéaste
d'origine chilienne. Il ne trouve dans ce personnage haut en couleur (aux deux sens de l'expression)
que matière à alimenter sa propre fantasmagorie créative. Le résultat
est intrigant, troublant et intéressant. Présentée dans sa version
longue en première au Festival de Rotterdam, cette coproduction européenne a été diffusée en salles dans un métrage raccourci d'environ une demi-heure.
Vienne, 1918. Le jeune peintre Egon Schiele se rend au chevet de son modèle et maître, Gustav Klimt,
à l'article de la mort. Dix-huit ans plus tôt, en pleine crise opposant
les tenants de l'art moderne ayant fait sécession et ceux de
l'académisme, Klimt présente une série d'allégories, jugées
scandaleuses par une partie de la critique, destinées à illustrer
l'université de Vienne. L'artiste est cependant couronné de la médaille
d'or de l'Exposition universelle de Paris. A l'occasion d'une réception donnée en son honneur dans la capitale française, il rencontre le réalisateur Georges Méliès et les deux acteurs d'un court métrage dans lequel il est mis en scène en compagnie de la demi-mondaine Lea de Castro. L'interprète de celle-ci demande au peintre s'il accepterait de faire son portrait ; séduit par la jeune femme, Klimt accepte. Il est bientôt convié à un rendez-vous nocturne et galant chez le duc Wolff Helenia, le fortuné protecteur de la belle et fausse/vraie (?) Lea.
Sorti après la très belle exposition Vienne 1900 organisée au Grand Palais, Klimt
est, à l'image de son sujet, une œuvre profondément symboliste. Par
d'incessants changements de lumière, de décors, par de subtils
mouvements de caméras et par des ruptures parfois brutales de narration,
Raoul Ruiz (re)créé
l'atmosphère, irréel ou surréel, qu'il pense être celui de la peinture
de Klimt et de ce début de XXe siècle, à la fois révolutionnaire et
désemparé. Il provoque également chez le spectateur une émotion et un
malaise qui s'inscrivent idéalement dans son dessein artistique global.
Dominé par la figure du double (et du reflet), le scénario
explore aussi les thèmes de la postérité, du désordre morale et physique
et la dialectique modernité-décadence. Il faut souligner l'importance
du travail photographique de l'Argentin Ricardo Aronovich (Providence, Le Bal...) avec lequel Ruiz a déjà collaboré sur Le Temps retrouvé. Et la qualité d'interprétation de John Malkovich, d'une constance exemplaire, des actrices dans le peu d'espace (et costumes) qui leur est réservé et de Nikolai Kinski, le plus jeune fils de Klaus, dans le rôle d'Egon Schiele décédé la même année que Klimt.
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