"Les vieux sont jetés à la mer."
Urbain, Mikio Naruse ? Il est vrai que la plupart des films du cinéaste japonais prennent une ville pour décor. Mais regardez donc Iwashigumo
avant de répondre à cette question. Cette "aération" dans la rurale et
maritime préfecture de Kanagawa s'accompagne d'ailleurs d'une inversion
des priorités narratives et d'un changement de format. Le drame familial
et social prend ici l'ascendant sur l'intrigue sentimentale. Le film
est également le premier du réalisateur tourné en couleur et en Cinemascope. Cette modernité (un des thèmes abordés par le film) fut étrangement mal appréciée par les amateurs des œuvres de Naruse alors qu'elle sert pourtant remarquablement la mise en scène. Opposé notamment à Kakushi-toride no san-akunin de Kurosawa, Iwashigumo dut se satisfaire de deux prix du meilleur scénario et de voir ses deux acteurs, Chikage Awashima et Ganjiro Nakamura, récompensés par un prix d'interprétation.
Okawa, le correspondant du journal "Toyo" à Atsugi, réalise une enquête sur la réforme agraire. Il rencontre à cette occasion Yaé,
une paysanne, veuve de guerre, qui élève son jeune fils et héberge sa
belle-mère. Ils se rendent ensemble à Hambara où le journaliste souhaite
interroger Michiko, une jeune ouvrière agricole susceptible de devenir l'épouse de Hatsu, le neveu de Yaé. En interrogeant une habitante du village, Yaé découvre que la jeune femme est la fille adoptive de la première femme de son frère Wasuke, le père de Hatsu. Le couple rate volontairement le car du retour et Okawa, pourtant marié, devient l'amant de Yaé. Une fois le mariage de Hatsu arrangé, Wasuke
est contraint de chercher le moyen de financer de fastueuses noces. Il
s'occupe aussi d'assurer l'avenir de son plus jeune fils Jun, né d'un troisième mariage, en s'opposant à l'entrée de sa nièce Hamako à l'université. Peu auparavant, son cadet Shin, employé dans une banque, avait décidé, malgré le refus de son père, de quitter la maison familiale pour emménager en ville.
Iwashigumo,
à travers ces trois saisons rurales et familiales, traite de la
profonde mutation opérée par le Japon à partir du début des années 1950,
en particulier de l'émancipation de la femme et de celle de la jeune
génération vis à vis de la précédente. Toute la finesse du scénario,
très dialogué, consiste à associer trois niveaux de lecture de ces
changements. Celui des enfants souhaitant s'affranchir du poids des
traditions et des conventions, très vieil héritage de la société nippone
; celui du père, totalement dérouté et subissant ce bouleversement
culturel avec lequel il perd sa place central. Et, surtout, celui de Yaé,
personnage intermédiaire*, à la fois actrice et spectatrice d'une
évolution dont elle ne bénéficiera finalement pas. Un peu déroutant,
pendant sa phase d'exposition, par sa narration alternée, le film
apparaît légèrement en retrait par rapport à l'adaptation du roman de Saisei Murô, Ani imôto, ou au futur Musume tsuma haha, assez proches sur le plan thématique.
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*y compris dans le cadre où elle apparaît souvent au second plan, un cadet au premier, un senior en fond.
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