"- Nous deux, nous marchons sans but.
- Peut-être."
Ce film clôt provisoirement la série de cinq productions, tournées en autant d'années, adaptées de l'œuvre romanesque de Fumiko Hayashi. Mikio Naruse la complétera en 1962 en portant à l'écran Hôrôki, ouvrage autobiographie publié en 1928, c'est à dire au tout début de la carrière de l'écrivain. Le roman Ukigumo
paru en 1950, puise probablement aussi une partie de son inspiration
dans les propres expériences de l'auteur féminin le plus populaire du
Japon, dont la vie sentimentale fut longtemps malheureuse. Il permet
également d'apercevoir, de manière certes fragmentaire mais réaliste, la
situation de l'empire nippon après-guerre, toile de fond de ce sobre et
long mélodrame, souvent présenté comme le chef-d'œuvre du cinéaste.
Hiver 1946. Yukiko Koda est rapatriée à Tokyo en provenance de l'Indochine française. Après s'être installée, en son absence, chez Sugio Iba qui avait fait d'elle, contre son gré, sa maîtresse, Yukiko se rend aussitôt à l'adresse de Kengo Tomioka où elle est reçue par son épouse. La jeune femme, alors âgée de 22 ans, avait rencontré Kengo
à Dalat, employés tous les deux par le ministère des Forêts. Malgré un
premier contact peu engageant, la dactylo et l'ingénieur étaient
rapidement devenus amants. Désormais négociant en bois aux faibles
ressources, Kengo n'envisage plus de divorcer pour vivre avec Yukiko,
elle-même à la recherche d'un travail. Meurtrie, l'abandonnée est
réduite à vendre ses charmes, notamment à un GI américain grâce auquel
elle peut trouver un modeste logement. Lorsque Kengo lui rend
visite et lui propose de l'accompagner dans la ville thermale d'Ikaho,
toujours éprise de lui, elle n'hésite pas à accepter. Pendant la nuit du
nouvel an, Kengo devient l'amant d'Osei, la très jeune épouse de l'aubergiste qui a invité le couple à sa table. De retour à Tokyo, Kengo et Yukiko se séparent. Mais celle-ci apprend bientôt qu'elle est enceinte.
Drame sentimental, Ukigumo
est aussi, intensément, un drame social tant les deux dimensions se
conjuguent, s'interpénètrent même tout au long de ce sombre récit.
Relation d'une tentative de reconstruction de deux êtres aux attentes
bien distinctes dans un pays également entrain de se relever, le film
décrit une lente descente dans les profondeurs de la misère matérielle
et humaine. On est stupéfait par la volonté, la persévérance et le
courage, voire l'abnégation du personnage de Yukiko, confronté aux difficultés de son époque et à l'égoïsme, à la vanité de son amant. L'autopsie du "docteur" Naruse
est, sur le plan psychologique, à la fois d'une précision chirurgicale
et d'une grande pudeur. Le cinéaste, s'il souligne avec finesse, par sa
mise en scène, le rôle du destin, que l'on peut qualifier ici de
fatalité, ne peut cependant se soustraire au caractère répétitif de
l'intrigue littéraire, cause d'un phénomène de dilatation du temps un
peu préjudiciable au film. Masayuki Mori, le partenaire de Toshirô Mifune dans Rashômon d'Akira Kurosawa (avec lequel il avait déjà tourné cinq des six films ensemble) et apprécié par Kenji Mizoguchi (Ugetsu monogatari), est parfaitement à son affaire dans le rôle délicat du faible Kengo. Hideko Takamine, lancée au cinéma dès son plus jeune âge et actrice fétiche de Naruse,
ne faillit pas à sa réputation d'être l'une des meilleures actrices
japonaises des années 1950. Le couple partagera à nouveau l'affiche de
quatre autres films du réalisateur, parmi lesquels le remarquable Onna ga kaidan wo agaru toki en 1960.
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