dimanche 7 novembre 2004

Wild at Heart (sailor et lula)


"The world was on fire and no one could save me but you." (in "Wicked Game")

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Quatre ans après le lunaire Blue Velvet, à la violence implicite, David Lynch propose, avec Wild at Heart, une œuvre solaire et explicitement brutale. Première adaptation cinématographique, assez fidèle, d'un roman de Barry Gifford*, dont l'univers est assez proche de celui du réalisateur, le film, à mi-chemin entre réalité et merveilleux, recycle les mythes de la culture populaire américaine tout en s'égarant, ce qui n'est pas nouveau chez Lynch, dans les contrées obscures du fantasme. Il est, tout à la fois, un hymne déjanté à l'amour fou, un road-movie postmoderne et un immense canular. Nul doute qu'il ait inspiré les futurs scénarii et mises en scène d'un certain Quentin Tarantino et de quelques autres apprentis cinéastes de sa génération. Wild at Heart reçut une "Palme d'or" très controversée au terme du Festival de Cannes 1990 ; Lynch fut certainement plus heureux de la polémique qu'il avait, malgré lui, créée que du prix lui-même.
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Sailor (Nicolas Cage) et Lula (Laura Dern), surnommée Peanut, s'aiment follement. Ce qui n'est pas du goût de Marietta (Diane Ladd), la mère de Lula, qui engage une petite frappe pour éliminer l'amant de sa fille. Mais, au cours de la bagarre c'est Sailor qui tue son adversaire et se retrouve en prison. Lorsqu'il est libéré sous condition, deux ans plus tard, Lula l'attend, lui apportant son blouson-fétiche en peau de serpent, symbole de son individualité. Pour échapper à la vindicte de Marietta, le couple d'orphelins (lui de parents dès l'âge de quatre ans, elle de père) quitte la Caroline, en direction de La Nouvelle-Orléans et de la Californie. Folle de rage, Marietta lance à leurs poursuite son amant, le détective Johnnie Farragut (Harry Dean Stanton), et, contre l'avis de celui-ci, le dangereux gangster Marcello Santos (J.E. Freeman).
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Produit par Monty Montgomery, déjà présent sur la série Twin Peaks, Wild at Heart reprend une bonne partie de l'équipe technique (photographie, montage, décors, compositeur) et deux actrices de Blue Velvet, Isabella Rossellini et Laura Dern. Lynch choisit, pour incarner la délirante mère de Lula, la maman de Laura Dern, Diane Ladd. Le choix de Nicolas Cage s'impose, pas seulement en raison de sa troublante ressemblance avec le King, dont il interprète lui-même les chansons. Le script est rédigé en un clin d'oeil (six jours) et le tournage est bouclé en trois mois. Une affaire qui roule. Et bien qu'il ne s'agisse pas d'un film réalisé à partir d'un scénario original comme Eraserhead ou Blue Velvet, Wild at Heart est, sans conteste, un film lynchien. Rares sont les cinéastes à posséder une telle capacité à imprimer à leurs oeuvres une réelle marque de fabrique. Lynch est de ceux là, toujours inventif, peuplant ses films de personnages si singuliers, de solennels accidents de la route et jouant finement sur le contraste entre banalité et étrangeté, lumière et obscurité. Ici, la galerie de portraits est saisissante. De la mère-sorcière à l'inquiétant Bobby Peru (Willem Dafoe) en passant par le sentimental Farragut ou la tueuse infirme, folle et lubrique Juana (Grace Zabriskie), sans oublier, symboliquement, les trois grâces (grasses !) felliniennes du motel texan de Big Tuna, il semble que tous soient réunis pour empêcher Sailor et Lula, réduits à un isolement quasiment schizophrénique, de vivre leur propre film rêvé en Cinémascope, pur conte de fée fabuleusement narcissique.
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"... Tu te battras pour tes rêves." Histoire d'amour, le film est aussi une troublante variation sur le destin et la superstition. Thèmes mis en relief par les révélations que se font les deux amants au cours de leur échappée et par ce surprenant épisode de l'accident de voiture nocturne dont Sailor et Lula sont les témoins impuissants. Wild at Heart multiplie, souvent de manière humoristique, les citations cinématographiques et musicales. En particulier celle au Wizard of Oz de Fleming**. Le casting est presque idéal. On ne voit d'ailleurs pas qui d'autre aurait pu incarner le duo du titre français. Nicolas Cage, déjà remarqué dans les récents Peggy Sue Got Married et Raising Arizona, réussit une hybridation, peu évidente, entre un Presley et un Brando tandis que Laura Dern, dans une interprétation de fausse écervelée, à la fois tonique, sensuelle et tourmentée, est tout bonnement épatante. Il faut signaler également les prestations de Diane Ladd (nommée dans la catégorie "Meilleur second rôle féminin" aux Oscars et aux Golden Globes 1991), étonnante par son outrance maîtrisée, et celle de Harry Dean Stanton, certes courte mais seul personnage authentiquement humain du film. On ne serait pas complet si l'on ne mentionnait pas la qualité de la bande-son et la chanson aux accents rockabilly et country propres aux Sun Studios***, "Wicked Game", parmi les trois extraites de l'album "Heart Shaped World" de Chris Isaak, qui a donné son identité sonore au film.
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*lequel puise, probablement, dans les souvenirs personnels de l'auteur, lequel a perdu son père (tueur présumé) à l'âge de 12 ans. Gifford collaborera à nouveau avec Lynch, notamment sur le scénario de Lost Highway.
**mais aussi à The Fugitive Kind, One-Eyed Jacks, Gentlemen Prefer Blondes, Night of the Living Dead ou The Night of the Hunter côté cinéma, "Over the Rainbow" côté chanson.
***de Memphis où enregistrèrent les Elvis Presley, Jerry Lee Lewis et autre Carl Perkins.

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