mercredi 24 novembre 2004

L'Avventura


"Il faut donc si peu pour que tout change ?"

Lorsqu'en 1995, Michelangelo Antonioni reçoit, des mains de Jack Nicholson, son acteur de Profession : reporter, un oscar d'honneur, celui-ci salue "l'un des plus grands esthètes de l'histoire du cinéma". Même si la présentation est réductrice, il faut reconnaître que, tout en ayant appartenu, comme Roberto Rossellini, au courant "réaliste" du cinéma italien, Antonioni dépasse la réalité, lui qui affirmait, en effet, vouloir exprimer "la réalité dans des termes qui ne soient pas tout à fait réalistes". Roland Barthes décelait chez le réalisateur une volonté de rendre subtil le sens de ce que l'homme dit, raconte, voit et sent, créer une sorte de vibration, au sens pictural du terme. L'Avventura illustre parfaitement de cette approche singulière.
Tourné dans des conditions particulièrement difficiles, le film faillit ne jamais être terminé et fut sauvé par des capitaux français, venus pallier la défaillance des producteurs italiens. Puis il est temporairement interdit à Milan, ville où doit avoir lieu la première, les autorités municipales et le procureur général le jugeant "pornographique" (Rocco e i suoi fratelli et La Dolce vita*, sortis la même année, seront eux aussi condamnés). C'est amputé de huit mètres de pellicule qu'il sera autorisé en salles. En compétition au Festival de Cannes en 1960, le film est très mal accueilli, ce qui poussent trente-sept artistes et écrivains, dont Rossellini, à adresser une lettre à Antonioni pour lui apporter leur soutien et condamner la réaction des critiques et du public. L'Avventura reçoit le "prix spécial du jury" pour "sa remarquable contribution à la recherche d'un nouveau langage cinématographique". Il est curieux de constater que le film est sorti la même année qu'une autre œuvre révolutionnaire, son antithèse filmique, Shadows de John Cassavetes, une pure improvisation.
Un groupe d'amis fortunés part en croisière au milieu des îles Eoliennes. Parmi eux, le couple formé par Sandro (Gabriele Ferzetti), un architecte qui a sacrifié son talent artistique à l'argent, et Anna (Lea Massari), une mondaine insatisfaite et irascible, en froid avec son père, traverse une période de lassitude. Après une baignade improvisée, la jeune femme aborde une des îles, rejointe par Sandro et son amie Claudia (Monica Vitti). Peu après, Anna disparaît et reste introuvable malgré les recherches immédiates entreprises. Sandro et Claudia, poursuivant celles-ci en Sicile, tombent amoureux l'un de l'autre.
Plus que de raconter une histoire, Antonioni montre, dépeint un malaise. L'atonie et la lenteur volontaires du film, l'absence de conclusion univoque contribuent à faire naître ce sentiment chez le spectateur également. Plus proche d'un Ingmar Bergman que d'un Vittorio De Sica, le réalisateur s'affranchit tout à la fois des conventions narratives du cinéma classique et de la morale sociale traditionnelle, sans pour autant proposer un modèle de substitution. L'exploration du "noumène" amoureux et la critique de la haute bourgeoisie sont les deux thèmes saillants de cette Aventure, résumés par le terme d'incommunicabilité, créé par Françoise Sagan. Antonioni y décrit un monde de l'échec, dominé par une pulsion érotique instinctive, et où "les belles choses ne servent plus à rien et meurent". Le film constitue un tournant thématique mais aussi stylistique dans la carrière du cinéaste. La composition des plans est, notamment, influencée par le passage au format panoramique. Antonioni n'hésite pas à faire un usage peu orthodoxe du champs-contrechamps, ce qui a pour effet de désorienter encore davantage le spectateur et de renforcer l'illogisme du film. L'Avventura est le premier film d'une trilogie poursuivie avec La Notte et L'Eclisse, tous les trois avec Monica Vitti.
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*également en compétition à Cannes et "Palme d'or".

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