mercredi 3 novembre 2004

Masculin, féminin


"En fin de compte, je me demande pourquoi je me marre, parce qu'au fond, j'suis drôlement triste."

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Les assidus du cinéma de Jean-Luc Godard ont dû être passablement déroutés à la projection de ce film, au moment de sa sortie. Venant juste après l'étonnant Pierrot le fou qui, tout à la fois, terminait et débutait un cycle dans la carrière du réalisateur suisse, Masculin, féminin rompt, en effet, avec la pure fiction, traitée sur un mode poético-surréaliste, de son prédécesseur. Ce dixième long métrage sous sa seule signature propose, à travers une presque banale histoire d'amour post-adolescente, une vision quasi documentaire de la France de 1965 dont l'actualité était dominée par sa première élection présidentielle au suffrage universelle depuis 1848 et son départ de l'Otan. Il est amusant de constater, a posteriori, que le film est sorti la même année que Blow Up, Un Homme et une femme et Belle de jour. Car malgré leurs profondes différences, ces œuvres ont au moins un point commun. Celui d'une apparente insouciance masquant un trouble dramatique réel.
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Paul (Jean-Pierre Léaud) revient du service militaire et cherche à quitter son emploi en usine. Garçon plutôt timide et maladroit, il a pourtant, malgré son caractère rebelle, de la facilité à s'exprimer et à s'intégrer. A l'inverse, son camarade Robert (Michel Debord), engagé politiquement, a des difficultés dès qu'il ne s'agit plus de refaire le monde en paroles. Madeleine (Chantal Goya), qui va enregistrer son premier disque, est un pur produit de la société de consommation naissante. Plus discrète, son amie Elisabeth (Marlène Jobert) la jalouse un peu pour son aisance et l'attraction qu'elle exerce auprès des garçons. De son côté, Catherine-Isabelle (Catherine-Isabelle Duport), bien qu'assez assez proche par son sérieux de Robert, qui la convoite, refuse de sortir avec lui, peut-être secrètement amoureuse de Paul qui n'a d'yeux que pour Madeleine. Leur génération, celle des "enfants de Marx et de Coca-Cola", vit au présent, sans réel projet, leur époque marquée, entre autres, par la violence quotidienne, la guerre du Vietnam et la révolution sexuelle.
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"Il y a deux ou trois ans, j'ai eu l'impression que tout avait été fait .... Bref, j'étais pessimiste. Après Pierrot, je n'ai plus cette impression du tout. Oui. Il faut tout filmer, parler de tout. Tout reste à faire." Ces propos, enthousiastes, de Godard aux "Cahiers du cinéma" après la sortie de son film, traduisent assez bien l'esprit du cinéaste lorsqu'il aborde Masculin, féminin. Au départ, il a le projet, évoqué au cours du Festival de Cannes 1965, d'adapter deux contes de Maupassant, "Le Signe" et "La Femme de Paul" et d'en confier les rôles principaux à Michel Piccoli (que l'on retrouvera chez Bunuel) et Jean-Pierre Léaud. Ce film ne verra jamais le jour, mais Masculin, féminin conserve toutefois l'essence thématique des oeuvres de l'auteur de "Boule-de-Suif" et son nom apparaît encore au générique. C'est un peu un Godard témoin de son époque, voire sociologue et pamphlétaire, que l'on découvre à travers ce film. Si l'intrigue n'est pas, en soi, décisive, elle traduit assez habilement l'influence d'une société, en profonde mutation depuis l'après-guerre, sur une jeunesse un peu dépassée ou désemparée par les énormes enjeux auxquels elle est confrontée. Le film, qui peut aisément passer pour une romance futile, est plaisant pour plusieurs raisons. D'abord par le contraste troublant entre une certaine "fraîcheur" de façade et cette tension, en permanence sous-jacente, que savent créer les deux complices Godard et Léaud (il été son assistant sur Une Femme mariée et Pierrot le fou). Ensuite, par le rôle essentiel de la bande son qui privilégie parfois sciemment, comme chez Tati, les ambiances au détriment des dialogues. Enfin pour le traitement de collage, avec apparition de vedettes invitées, qui est réservé au film et pour découvrir Chantal Goya et Marlène Jobert dans leur premier rôle au cinéma.

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