vendredi 12 novembre 2004

Histoire d'un secret


"Et ce bateau, où est-ce qu'il va ?"

Mariana Otero, la sœur de la comédienne Isabel Otero, est connue pour sa série de documentaires sur les adolescents, diffusé sur Arte ou son reportage sur la chaîne de télévision privée portugaise SIC TV. Avec Histoire d'un secret, elle revient sur une énigme familiale et un traumatisme personnel, la disparition de sa mère, la peintre Clotilde Vautier, alors qu'elle n'avait que quatre ans. C'est à une véritable enquête que la réalisatrice nous convie, avec indices, témoignages, reconstitutions et révélation. C'est aussi un très bel hommage-évocation d'une mère artiste (ou artiste mère, selon les éléments de l'enquête) qu'elle n'a pratiquement pas connue.
Tout commence à Tribehou, cette petite commune manchoise, berceau des Vautier. Là, dans la maison de famille, Mariana Otero retrouve des objets et surtout des peintures de sa mère. On évoque ensuite, avec oncle et tante, les événements de ce tragique mois de mars 1968 et du décès, à 28 ans, de Clotilde, officiellement consécutive à une banale appendicite. Le sort voudra que sa disparition coïncide avec une exposition de ses œuvres qui devait se tenir à la galerie Desgranges de Rennes. Avec la sœur complice, on convoque les souvenirs. Puis on interroge le père, Antonio, d'origine espagnol, coupable idéal de l'investigation. Les amis de la victime sont appelés à témoigner et des spécialistes (notamment J. Brunerie-Kauffmann, voir suppléments) sont consultés pour livrer leur analyse de la situation à l'époque des faits. Il ressort de l'enquête que Clotilde n'était pas un cas isolé, que l'on a affaire à des meurtres en série, liés, bien sûr au choix des personnes concernées mais surtout à l'inertie d'une société réputée moderne incapable, pour des raisons religieuses et présumées morales, de trouver, avant 1974, une solution à un problème vieux comme le monde.
A la recherche de la mère et de la peintre perdue. En quoi l'expérience et la douleur personnelle peuvent-elles avoir une dimension universelle ? N'y a-t-il pas de l'impudeur à "jeter un oeil dans le jardin du voisin" ? Regarder le film de Mariana Otero apporte une partie de la réponse à ces questions. Bien sûr, Clotilde Vautier a partagé le sort dramatique de milliers de femmes avant que ne soit promulgué, le 17 janvier 1975, la fameuse et alors controversée Loi Veil. Cette disposition législative, comme celles du 28 décembre 1967 sur la contraception et du 9 octobre 1981 abolissant la peine de mort, a modifié le paysage juridique, social et éthique de la France, faisant entrer le pays dans une modernité qu'elle ne pouvait pas encore revendiquer en leur absence. Mais chaque expérience est unique et celle qui émerge à travers cette Histoire d'un secret l'est aussi, même si certains de ses acteurs sont des individus publics. La première vertu, essentielle, du film est qu'il est à la fois sincère, émouvant et surtout intelligent, décrivant assez bien le contexte terrifiant qui entourait l'avortement clandestin au cours de cette fin des années 1960 pourtant insurrectionnelle, désamorçant, a posteriori, le sentiment de honte des jeunes femmes et de leur famille, trahissant positivement le secret qui entourait ces pratiques et réussissant à exorciser le sentiment de culpabilité chez ceux qui se sentaient responsables. Le film n'est pas, il faut le souligner à son crédit, polémique mais davantage sensible et "atmosphérique". La seconde vertu d'Histoire d'un secret est de faire connaître l'intéressante œuvre picturale de Clotilde Vautier (voir, à ce propos, lien internet en fiche-film).

N.B. : compte tenu de son caractère, il serait vain et inapproprié de noter ce film. En revanche, je recommande chaudement de le voir.

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