dimanche 21 novembre 2004

The Wrong Man (le faux coupable)


"Un innocent ne doit pas avoir peur, rappelez-vous çà."

Dernier film tourné par Alfred Hitchcock pour la Warner, The Wrong Man est inspiré par un fait réel, celui vécu par C. E. Balestrero et révélé par l'article d'Herbert Brean, "A Case of Identity" paru dans le magazine "Life" du 29 juin 1953. Maxwell Anderson* en a tiré un livre sobrement intitulé "The True Story of Christopher Emmanuel Balestrero". Dans la lignée des classiques Boomerang! de Kazan ou Call Northside 777 d'Hathaway consacrés à une erreur judiciaire, le film se singularise par son réalisme "chirurgical", impression renforcée par l'utilisation du noir et blanc, et par le fait que, contrairement à ses prédécesseurs, l'histoire est montrée à travers les yeux du présumé coupable. Compte tenu du caractère spécifique du film, Hitchcock a été amené à faire deux concessions importantes. Conscient de l'aridité du film et de son probable faible succès public, il n'a pas touché de salaire (et a essayé de convaincre son scénariste, Angus MacPhail, à faire de même, ce qui provoquera leur séparation). Et il n'a pas souhaité y apparaître comme il en a l'habitude, à travers un cameo insolite (tourné mais finalement coupé), mais préféré l'introduire solennellement.
New York, le 14 janvier 1953. Christopher Emmanuel Balestrero (Henry Fonda), dit 'Manny', termine, aux premières heures du jour, son set en tant que contrebassiste dans une boîte de nuit à la mode, le 'Stork Club' sur la Cinquième avenue. Il retrouve, à son domicile, son épouse, Rose (Vera Miles) et ses deux garçons. Rose, souffrant d'une rage de dent, est éveillée. Malgré leurs faibles moyens financiers, Manny lui promet de trouver l'argent pour ses soins. Dans la journée, il se rend à sa compagnie d'assurances pour emprunter une somme sur la police de Rose. Sa présence met en émoi le personnel de l'agence. Plusieurs personnes reconnaissent Manny comme l'auteur d'un vol à main armée commis quelques semaines plus tôt. La police est prévenue et Manny est interpellé au moment où il rentre chez lui. On lui demande de se prêter à une séance d'identification chez les commerçants qu'il est réputé avoir volés. Preuve accablante supplémentaire, son écriture et son orthographe ressemblent à celles du voleur. Sur la base du témoignage des salariés de la compagnie d'assurances, qui le reconnaissent formellement, il est incarcéré. Libéré sous caution, et conseillé par Frank O'Connor (Anthony Quayle), un avocat peu expérimenté en matière criminelle, il va tenter de prouver son innocence en recherchant des témoins qui pourront attester de sa présence auprès d'eux au moment des délits. Mais ces témoins potentiels ont tous disparus. La santé mentale de Rose commence alors à décliner et Manny est contraint de la confier à un établissement spécialisé.
Une histoire qui glace le sang, mise en scène avec une sécheresse toute documentaire. Hitchcock est dans son élément : thème du sosie et de l'erreur d'identité, innocent accusé injustement, homme seul livré à un monde hostile et absurde. Mais il est aussi conscient de l'enjeu du film. Il ne peut traiter une histoire vraie comme il le ferait avec un roman ou une pièce de théâtre. Il s'appuie sur les témoins de l'affaire et s'entoure de membres de la famille Balestrero pour peaufiner les dialogues. The Wrong Man reste, néanmoins, un authentique film hitchcockien, par sa construction, avec utilisation fréquente d'effets de caméra subjective. Par sa superbe photographie, privilégiant notamment les motifs de rayures qui symbolisent l'enfermement, qui pourrait le faire passer assez naturellement pour un film noir. Par son soucis du détail dans les différentes étapes des procédures d'enquête et de justice. Au delà de ses qualités évidentes, la force du film est de nous interpeller sur la nature du monde dans lequel nous vivons. Bercé par l'illusion d'une vie de famille ou sociale, certes parfois difficile, mais apparemment solide et chaleureuse, nous ignorons le danger susceptible d'emporter, "dans un labyrinthe de terreur", chacun d'entre nous. Fondé sur l'a priori (voir, à ce propos, l'édifiant dialogue entre Manny et les policiers lorsqu'il évoque son travail) et la fausse conviction, l'individu devenu suspect, bien que présumé innocent, perd sa dignité, il est appelé par son prénom, il devient le pur instrument d'une effroyable et absurde (une caution de 7 500$ est demandée pour un vol de... 71$) machine policière et judiciaire.
L'interprétation d'Henry Fonda, dans son seul film avec Hitchcock, est magnifique. Elle compte parmi celles qui ont construit la légende de cet acteur superlatif. Il campe à la perfection ce père modeste mais modèle, rigoureux et déterminé mais profondément humain. Affrontant avec un calme insensé la fatalité des événements qui s'abattent sur lui tout en laissant transparaître une certaine détresse, on ne voit pas qui aurait pu apporter à ce rôle plus qu'il ne l'a fait et on comprend mal les arguments de ceux qui auraient souhaité plus d'ambiguïté dans la situation et dans le jeu. Lorsqu'il lance au vrai coupable : "réalisez-vous ce que vous avez fait à ma femme ?", sa sincérité est évidemment indiscutable. Rares** sont ceux qui auraient réussi comme lui à faire passer le même sentiment. Le hasard voudra qu'il vienne au secours d'un autre faux coupable dans son rôle suivant, celui du juré n°8 de 12 Angry Men de Sidney Lumet dans lequel il est également remarquable. Vera Miles, dans un rôle de fausse coupable également mais moins exposé, est aussi très convaincante et le couple fonctionne à merveille. Celle qui sera Lila Crane dans Psycho quatre ans plus tard, rend très crédible le délicat passage entre force et fêlure psychologique de son personnage. Un dernier mot sur le score, très sobre, de Bernard Herrmann, lequel module un thème répétitif très simple tantôt rythmique, s'inspirant de l'instrument du personnage central, tantôt mélodique.
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*Prix Pulitzer pour "Both Your Houses" (1933) auteur de la pièce éponyme adaptée au cinéma Key Largo.
**James Stewart peut-être.

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