vendredi 26 novembre 2004

Anne of the Indies (la flibustière des antilles)


"Vous vous êtes trahie vous-même, ma chère."

En 1951, le réalisateur d'origine française Jacques Tourneur, aux Etats-Unis depuis 1913, a déjà tourné quelques uns de ses meilleurs films. Parmi eux, le fantastique (à tous les sens du terme) Cat People et une des oeuvres clés du film noir, Out of the Past. L'année précédente, il réalise, coup sur coup, un western familial, Stars in My Crown, et un film d'aventure, The Flame and the Arrow, une sorte de Robin des bois dans l'Italie médiévale. On pourrait dire qu'avec Anne of the Indies, Tourneur passe, sans transition, de Barberousse à Barbe noire pour rejoindre la longue et riche tradition du cinéma consacrée aux pirates et initiée par... son propre père, Maurice, avec le muet Treasure Island (1920). Particularité de son film, mettre en vedette une femme pirate inspirée du personnage réelle Anne Bonny.
Le capitaine Anne Providence (Jean Peters) est la terreur de la marine britannique dans les Caraïbes. Elle et son équipage du 'Sheeba Queen' ont déjà abordé, pillé et coulé cinq de ses navires. Le sixième, le 'Gemini', subit bientôt le même sort. Les rescapés anglais de la bataille sont jetés, ligotés, à la mer. Pierre 'Frenchie' François (Louis Jourdan), un corsaire français détenu dans les cales du 'Gemini', est sur le point de connaître le même sort lorsqu'il est sauvé par Anne qui l'engage, malgré l'opposition du second, Red Dougal (James Robertson Justice), pour remplacer le routeur, mort pendant l'assaut. A Nassau, Anne et Pierre rencontrent le fameux Barbe noire (Thomas Gomez), le père "spirituel" de la jeune femme, celui qui lui a tout appris sur la piraterie. Pierre s'absente pour régler certaines affaires dans la ville, ce qui ne manque pas d'éveiller quelques soupçons chez Anne, Dougal et Jameson (Herbert Marshall), le docteur du bord. D'autant que l'on a trouvé dans ses affaires la moitié d'un plan qui pourrait être celui de la cachette du trésor du pirate Morgan. Interrogé en vain à son retour, Pierre est mis aux fers et fouetté. Il finit pas livrer son secret sur la promesse d'une association équilibrée avec Anne et son équipage. Il est, en effet, à la recherche du détenteur de l'autre moitié du plan, lequel, il vient de l'apprendre, se trouve à Port-Royal (Jamaïque)Avant de s'y rendre, le 'Sheeba Queen' s'arrête dans une petite île pour effectuer des opérations de carénage. Anne, amoureuse de Pierre, lui cède malgré sa détermination à ne pas assumer sa féminité. Barbe noire les rejoint et apprend à Anne que Pierre François n'est autre que LaRochelle, un officier de la marine française. Celui-ci constitue une menace qu'il faut éliminer. Anne prend le parti de Pierre et s'oppose violemment à Barbe noire. Mais qui est vraiment Pierre-François LaRochelle et qui est cette femme (Debra Paget) qu'il rejoint mystérieusement à Port-Royal ?
Anne of the Indies est un film d'aventure hollywoodien classique, certes, mais une œuvre de Jacques Tourneur n'est jamais anodine. D'abord parce que le cinéaste, tout en utilisant les moyens mis à sa disposition pour rendre son film spectaculaire, aime approfondir la psychologie de ses personnages. Ensuite, parce qu'il évite une trop grande linéarité narrative, ce qui permet à Anne of the Indies de rebondir plaisamment à la moitié du métrage. Bien sûr, le film n'évite pas les poncifs et les figures imposées, ou du moins le spectateur du début du XXIe siècle perçoit-il comme tels certains de ses passages. Mais la manière dont le réalisateur traite les thèmes dichotomiques de la compromission et de la rédemption, de la masculinité et de la féminité est plutôt intelligente et enlevée. Jean Peters, la future Mme Howard Hughes, une escrimeuse émérite, est à l'aise dans son rôle de femme d'action, à l'opposé de celui, purement romantique, de sa jeune partenaire Debra Paget, déjà vue en indienne dans le bon et peu orthodoxe western de Delmer Daves, Broken Arrow. L'expérimenté marseillais Louis Jourdan(The Paradine Case, Letter from an Unknown Woman), qui a déjà joué avec Debra Paget dans Bird of Paradise du même Delmer Daves, apporte une touche "d'exotisme" au film et retrouve l'ambiance de son premier film, Le Corsaire de Marc Allégret. Quoique ! Les Antilles ne sont-elles pas un peu françaises ?

NB : contrairement à ce que pourraient laisser penser les photographies disponibles, le film, tourné en 35 mm (format 1,37:1), est en couleur.

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