"Un papillon a dû battre des ailes."
Mike Leigh fait partie de ces réalisateurs britanniques (avec Ken Loach, Stephen Frears...) ayant sorti de sa léthargie leur cinéma national, alors sous haute influence américaine. A pathologie profonde, thérapie radicale. Leigh, issu de la télévision, en emprunte les méthodes, c'est à dire le tournage en direct de sujets profondément ancrés dans le quotidien et la mise en scène, sans enjolivure, des laissés-pour-compte de la société. Sorti la même année que Raining Stones de Loach, Naked, son quatrième film de cinéma répond parfaitement, comme les précédents, à ce "cahier des charges". L'errance réaliste qu'il relate à travers le personnage de Johnny, par sa puissance d'évocation, prend une signification symbolique intemporelle et, en même temps, constitue un témoignage symptomatique de son époque, celle de l'ère post-thatcherienne. Présenté en compétition à Cannes en 1993, le film a reçu le "Prix de la mise en scène" et son acteur principal le "Prix d'interprétation masculine".
Personnage insolite et égaré, voyou philosophe, Johnny, après avoir violé une jeune femme dans une ruelle sombre, quitte précipitamment son Manchester natal pour Londres. Là, il se rend chez Louise, son ancienne petite amie, qui partage son appartement avec Sophie, une junkie sans emploi et Sandra, une infirmière en voyage au Zimbabwe. C'est Sophie qui l'accueille et ils ont rapidement une relation intime. Johnny et Louise se rendent compte très vite qu'ils n'ont pas grand chose à se dire et celui-là s'en va traîner dans les rues hivernales. Il y rencontre successivement un jeune couple d'écossais paumés, un gardien de nuit avec lequel il a une conversation esca-théologique, une femme, séduisante mais plus tout à fait fraîche, aperçue à sa fenêtre, une jeune serveuse de brasserie, un colleur d'affiche et un groupe de jeunes gens violents. Le retour chez Louise, terrorisée comme Sophie par la présence imposée d'un Sebastian Hawks/Jeremy Sharp, pourrait ramener Johnny à son point de départ initial.
Naked est une œuvre difficile à décrypter. Plus qu'un simple carnet de route dans les bas-fonds londoniens et de l'être ou la démonstration du caractère corrupteur du système social, le film est à la lisière de plusieurs thèmes au sein desquels il effectue des incursions plus ou moins profondes. Réflexion sur la crainte du futur, avec ses nombreuses références à l'apocalypse christique et mythologique, sur le bien et le mal, sur l'amour et la violence ou encore sur la liberté et l'aliénation, il est, avant tout et surtout, par opposition au Trainspotting de Danny Boyle, un très intéressant apologue sur la solitude et le langage. Le verbe est une arme particulièrement affûtée pour Johnny, entouré d'individus muets, maladroits ou continents (à l'image de Sandra qui ne réussit pas à terminer ses phrases) ; la parole est aussi un "marqueur" social (épisode de la limousine) et elle sera l'élément déclencheur de son châtiment (sacrifice ?). Dans ce registre (et dans les autres aussi), le personnage erratique de Jeremy joue le rôle du double contrapuntique. Parmi ses nombreux atouts, Naked possède un très bon casting, emmené par David Thewlis dont la prestation et les répliques, improvisées, sont remarquables et par ses partenaires féminines, Lesley Sharp et la regrettée Katrin Cartlidge. Soulignons enfin la qualité de la photographie de Dick Pope et les belles compositions musicales, utilisant des motifs répétitifs, d'Andrew Dickson.
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