lundi 15 mai 2006

Io non ho paura (i'm not scared, l'été où j'ai grandi)


"Je ne suis pas un ange."

Lorsque l'impression est si forte, il n'y a pas lieu de lésiner : il faut s'exprimer à la première personne. Je n'ai pas ressenti de choc aussi intense ni éprouvé un tel plaisir devant un film récent depuis... Cidade de Deus. Déjà un thriller en grande partie joué par des enfants. Munis d'arguments bien différents, le onzième film de fiction de Gabriele Salvatores, sélectionné à la Berlinale 2003 et sorti bien tardivement en France, constitue l'une des plus belles surprises cinématographiques de ces dernières années. Après l'avoir vu, j'envie à présent ceux qui vont pouvoir le découvrir à l'occasion de son édition en vidéo. Car avec une distribution en plein été (pour être raccord avec l'insipide titre français ?) sur quelques dizaines de copies, les spectateurs en salles n'ont pas été légion. Une pure injustice (un des thèmes du film !) compte tenu des grandes qualités artistiques de Io non ho paura.
Sud de l'Italie, été 1978. En revenant chercher les lunettes de sa petite sœur Maria autour de la vieille maison abandonnée qui a servi de terrain de jeu à ses camarades et à lui, Michele Amitrano, âgé de dix ans, fait une étrange trouvaille. Il aperçoit, dans un trou creusé à proximité et recouvert d'une tôle ondulée, un pied humain qui dépasse d'un tissu. Effrayé, il s'enfuit aussitôt et n'en parle à personne. L'enfant retourne pourtant seul sur place le lendemain : le pied est toujours là. Mais lorsque Michele lance une pierre dans sa direction, il disparaît, suivi par la brusque et fugitive apparition d'un individu provocant une nouvelle fois le départ précipité du garçon. Pino, le père de Michele est revenu au hameau mais, lui d'ordinaire tolérant et débonnaire, se montre tendu et irascible. C'est au cours de sa troisième visite à la fosse qu'un contact verbal s'établit avec l'enfant qui s'y trouve, celui-ci demandant à boire. Michele trouve astucieusement le moyen de lui donner de l'eau. En revanche, il ne peut satisfaire l'inconnu qui lui réclame à présent de la nourriture. Le soir venu, Pino annonce à table l'arrivée d'un ami venant du nord, un certain Sergio. Sur son lit, Michele s'invente une histoire susceptible d'expliquer sa découverte. La réalité, moins fabuleuse, est dramatique.
Avant d'être un roman, publié en 2001 et récompensé par le "prix Viareggio", Io non ho paura a été conçu comme un scénario puis oublié par Niccolò Ammaniti quelques années dans un tiroir. Fort heureusement, il n'y est pas resté et le succès littéraire a naturellement redonné à cette simple mais formidable histoire sa vocation première, être portée à l'écran. Un écueil subsistait : réussir son adaptation. Gabriele Salvatores a fait mieux que cela, il l'a magnifié. Comme son confrère brésilien Fernando Meirelles, mais de manière plus classique sur le plan de la mise en scène, le réalisateur napolitain nous livre l'un des thrillers les plus intéressants et réussis de ces dernières années, à la croisée des chemins du genre policier, du récit initiatique et du conte fantastique.
Bien que situé dans le décor superbe, presque irréel, des Pouilles italiennes, remarquablement photographié par le talentueux Italo Petriccione(déjà primé à Venise pour son travail sur Ovosodo), le film rappelle, en plus sombre, les œuvres de Mark Twain et, paradoxalement, celles de David Lynch*. On pense aussi, bien entendu, à La Corsa dell'innocente de Carlo Carlei. Filmé à hauteur d'enfant et narré implicitement à la première personne par le personnage centrale qu'est Michele, Io non ho paura aborde avec intelligence et finesse l'imaginaire adolescent pour lequel l'origine des événements est prioritairement extraordinaire ainsi que les thèmes de l'innocence, de la culpabilité, de la justice et de la trahison. Et, de manière puissante, le passage des jeux infantiles cruels aux crimes des adultes. Soulignons enfin l'importance de la musique, inspirées de compositions de Vivaldi et de Bach, et la qualité des acteurs dans leur ensemble, avec évidemment une mention particulière pour cet étonnant jeune acteur qu'est Giuseppe Cristiano promis, on l'espère, à une belle et grande carrière. Un conseil : ne ratez pas ce film !
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*plus que le Fargo des frères Coen.

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