"Personne ne naît méchant."
Deux ans après Historias mínimas, à peine interrompu par une participation à une série télévisée, Carlos Sorin
poursuit son errance cinématographique en Patagonie, cette terre
extrême peuplée de géants dans le fantasme de son découvreur, Magellan.
Produit avec la même équipe, aux scénaristes et, bien sûr, à la majorité
des acteurs près, El Perro
s'inscrit dans le fidèle prolongement thématique et stylistique du film
précédent, peinture intimiste dans un pays en proie à une crise
économique et sociale depuis 1991, aggravée en 2001. Il n'a, pour
autant, rien de mélodramatique ou de larmoyant, la palette de couleurs
habituellement employée par le réalisateur argentin étant plutôt celle
de la tragi-comédie. Il ne s'agit pas non plus, malgré son titre, d'une
film animalier, Bombón, élément certes décisif du scénario, n'occupant qu'un rôle somme toute secondaire. Les membres de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique semblent, en tous cas, aimer les chiens et/ou les œuvres de Sorin puisqu'ils ont, pour la seconde fois en trois ans, gratifié ce dernier de leur prix (sans mention spéciale cette fois) au Festival de San Sebastián (Espagne).
Juan Villegas,
licencié par le gérant de la station-service qui l'employait comme
mécanicien, essaie de s'en sortir en vendant de jolis couteaux dont il
fabrique le manche de manière artisanale. A cinquante-deux ans, il a
peut d'espoir de retrouver un travail stable qui lui permette de vivre
décemment. Doté de rares qualités de cœur, il est un peu maladroit et
ne sait pas se mettre en valeur. Sa fille, dont le mari est inactif,
l'héberge gentiment au milieu de sa petite famille. En allant chercher
une pièce pour réparer la plomberie de la salle de bains, Juan vient en aide à Claudina,
une jeune femme en panne de voiture sur la route. Malgré la très grande
distance, il n'hésite pas à la raccompagner chez elle tout en
remorquant son véhicule et, une fois arrivé, à effectuer la réparation.
Pour le remercier et le dédommager, la mère de Claudina lui
propose d'accepter un dogue argentin, le premier et seul chien de race
de l'élevage que comptait développer son mari avant de décéder. Sur les
conseils d'un directeur d'une agence bancaire qui a reconnu en l'animal
un authentique champion, Juan entre en contact avec Walter Donado, l'un des meilleurs spécialistes et dresseurs du pays.
Carlos Sorin s'évertue à donner, au sens propre du terme, du chien à ses films. Mais contrairement au Don Justo de Historias mínimas, Juan, alias 'Coco'
ne cherche pas mais déniche, un peu malgré lui, un canidé, muni de
surcroît d'un pedigree, grâce auquel il va, lui le sans-grade, retrouver
l'espoir et la fierté qu'il avait, au moins en partie, perdus. Toujours
filmé avec le réalisme d'un documentaire et des acteurs non
professionnels, El Perro
réjouit et émeut par son humanisme et sa sincérité. Le cinéaste fait de
son authenticité, de son apparente simplicité, un manifeste, déclarant
dans un récent entretien que "faire un film d'imagination, de pure fiction, dans son pays était devenu immoral."
Il assume son engagement politico-philosophique, renonçant ainsi
sciemment au soutien réglementé* apporté au cinéma dans son pays et
s'aliénant une partie du public pour laquelle le divertissement est
l'unique raison de faire et d'aller au cinéma**. Une belle preuve de
courage et d'opiniâtreté. En mesurant le talent créatif de Sorin et celui de son directeur de la photographie, Hugo Colace,
dont les plans larges sur les magnifiques paysages de la province de
Santa Cruz et les gros plans sur les visages des personnages n'ont rien à
envier aux productions des meilleurs spécialistes du cinéma dit
commercial, on regrette singulièrement que l'Argentine ne se porte pas
mieux.
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*les aides accordées a posteriori par l'Etat le sont en fonction de la rentabilité des films et non de leur qualité.
**plébiscitant les films de Marcelo Piñeyro, de Fabián Bielinsky ou encore de Juan José Campanella.
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