lundi 15 mai 2006

El Perro (bombón el perro)


"Personne ne naît méchant."

Deux ans après Historias mínimas, à peine interrompu par une participation à une série télévisée, Carlos Sorin poursuit son errance cinématographique en Patagonie, cette terre extrême peuplée de géants dans le fantasme de son découvreur, Magellan. Produit avec la même équipe, aux scénaristes et, bien sûr, à la majorité des acteurs près, El Perro s'inscrit dans le fidèle prolongement thématique et stylistique du film précédent, peinture intimiste dans un pays en proie à une crise économique et sociale depuis 1991, aggravée en 2001. Il n'a, pour autant, rien de mélodramatique ou de larmoyant, la palette de couleurs habituellement employée par le réalisateur argentin étant plutôt celle de la tragi-comédie. Il ne s'agit pas non plus, malgré son titre, d'une film animalier, Bombón, élément certes décisif du scénario, n'occupant qu'un rôle somme toute secondaire. Les membres de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique semblent, en tous cas, aimer les chiens et/ou les œuvres de Sorin puisqu'ils ont, pour la seconde fois en trois ans, gratifié ce dernier de leur prix (sans mention spéciale cette fois) au Festival de San Sebastián (Espagne).
Juan Villegas, licencié par le gérant de la station-service qui l'employait comme mécanicien, essaie de s'en sortir en vendant de jolis couteaux dont il fabrique le manche de manière artisanale. A cinquante-deux ans, il a peut d'espoir de retrouver un travail stable qui lui permette de vivre décemment. Doté de rares qualités de cœur, il est un peu maladroit et ne sait pas se mettre en valeur. Sa fille, dont le mari est inactif, l'héberge gentiment au milieu de sa petite famille. En allant chercher une pièce pour réparer la plomberie de la salle de bains, Juan vient en aide à Claudina, une jeune femme en panne de voiture sur la route. Malgré la très grande distance, il n'hésite pas à la raccompagner chez elle tout en remorquant son véhicule et, une fois arrivé, à effectuer la réparation. Pour le remercier et le dédommager, la mère de Claudina lui propose d'accepter un dogue argentin, le premier et seul chien de race de l'élevage que comptait développer son mari avant de décéder. Sur les conseils d'un directeur d'une agence bancaire qui a reconnu en l'animal un authentique champion, Juan entre en contact avec Walter Donado, l'un des meilleurs spécialistes et dresseurs du pays.
Carlos Sorin s'évertue à donner, au sens propre du terme, du chien à ses films. Mais contrairement au Don Justo de Historias mínimas, Juan, alias 'Coco' ne cherche pas mais déniche, un peu malgré lui, un canidé, muni de surcroît d'un pedigree, grâce auquel il va, lui le sans-grade, retrouver l'espoir et la fierté qu'il avait, au moins en partie, perdus. Toujours filmé avec le réalisme d'un documentaire et des acteurs non professionnels, El Perro réjouit et émeut par son humanisme et sa sincérité. Le cinéaste fait de son authenticité, de son apparente simplicité, un manifeste, déclarant dans un récent entretien que "faire un film d'imagination, de pure fiction, dans son pays était devenu immoral." Il assume son engagement politico-philosophique, renonçant ainsi sciemment au soutien réglementé* apporté au cinéma dans son pays et s'aliénant une partie du public pour laquelle le divertissement est l'unique raison de faire et d'aller au cinéma**. Une belle preuve de courage et d'opiniâtreté. En mesurant le talent créatif de Sorin et celui de son directeur de la photographie, Hugo Colace, dont les plans larges sur les magnifiques paysages de la province de Santa Cruz et les gros plans sur les visages des personnages n'ont rien à envier aux productions des meilleurs spécialistes du cinéma dit commercial, on regrette singulièrement que l'Argentine ne se porte pas mieux.
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*les aides accordées a posteriori par l'Etat le sont en fonction de la rentabilité des films et non de leur qualité.
**plébiscitant les films de Marcelo Piñeyro, de Fabián Bielinsky ou encore de Juan José Campanella.

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