"... A l'ombre de l'arbre de la Bonté."
On ne sait pas si Manoel de Oliveira
a pratiqué, au cours de sa fameuse période sportive, des jeux de balles
mais, visiblement, il semble avoir un certain goût et talent pour le
contre-pied. Venant tout juste après le romanesque O Princípio da Incerteza, cette insolite fiction aux allures de documentaire (ou peut-être est-ce l'inverse) qu'est Um Filme Falado nous fait définitivement comprendre l'absolue vanité de toute tentative à vouloir le cataloguer. de Oliveira
est, en effet, un des rares artistes contemporains à pouvoir jouir
d'une telle liberté créatrice. Ce trentième long métrage, au titre
résonnant comme une sage provocation, en est une preuve éclatante.
En juillet 2001, Rosa Maria, une professeur d'histoire à l'université de Lisbonne, et Maria Joana,
sa fille âgée de huit ans, embarquent à bord d'un navire de croisière
en direction de Bombay où elles doivent respectivement retrouver leur
mari et père. Ce voyage, qui fait successivement escale à Marseille,
Naples, Athènes, Istanbul, Port Saïd et Aden, donne l'occasion à Rosa Maria de connaître des lieux qu'elle ne connaissait jusque là que par ses lectures. Elle lui permet également de raconter à Maria Joana
les histoires et légendes de ces berceaux de civilisations. A chacune
des trois premières étapes, de nouveaux passagers montent à bord du
bateau, notamment trois femmes connues que le commandant américain
invite à sa table.
Bien
qu'il puisse apparaître comme une réédition moderne et didactique, six
siècles plus tard, du périple du navigateur portugais Vasco de Gama, Um Filme Falado
ressemble davantage à la transposition formelle de la tragédie grecque
au cinéma. L'importance accordée à la religion, aux protagonistes, aux
édifices et aux costumes dans le film atteste déjà cette démarche. Mais
sa structure même est inspirée du modèle théâtral antique, trois actes
et une alternance entre parties parlées, parties chantées et récitatifs.
Un intéressant parallèle pourrait d'ailleurs être fait entre le film et
la vision nietzschéenne de la décadence de la tragédie. Dans cette
métaphore fictionnelle et eschatologique située volontairement juste
avant le "Onze septembre", Manoel de Oliveira associe l'utopie d'une nouvelle Société des nations
dirigée par les femmes, dans laquelle les interlocuteurs parleraient
leur langue en étant compris des autres sans traduction simultanée, au
nihilisme dont les premières victimes seraient la mémoire collective et
l'espoir symbolisés par la mère et sa fille. Um Filme Falado
constitue une intéressante base de réflexion sur le sens de la
civilisation et notre siècle naissant, moins spectaculaire mais plus
subtile que la "Palme d'or" 2004.
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