mardi 29 novembre 2005

Mon oncle


"Ah ça, non... alors là, c'est insensé... y'a plus de raison... c'est sans limite, maintenant. "

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Il est, paradoxalement, souvent plus difficile d'analyser une œuvre très connue qu'un film juste découvert. Mon oncle constitue un des contre-exemples à ce principe implicite. L'enthousiasme est encore vivace, le charme que dégage, comme les précédents, le troisième long métrage de Jacques Tati est toujours intact, la sensibilité et l'émotion qu'il véhicule sont, fort heureusement, intemporelles. Caractéristiques des films d'un autre génial artiste du cinéma, son "grand frère américain" selon moi : Buster Keaton. Peu après que l'immense interprète de Johnnie Gray dans The General faisait une apparition dans le rôle d'un anonyme conducteur de train
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dans une adaptation d'un roman de Jules Verne réalisée par Michael Anderson, Tatischeff mettait donc, une deuxième fois, M. Hulot en scène et enrichissait ainsi sa filmographie d'un troisième chef d'œuvre en dix ans. Le cinéaste, comme Keaton, n'a pas de réel héritier spirituel. Mais la génération de la "Nouvelle vague", déjà en gestation au moment de la sortie de Mon oncle, se reconnaissait en lui. Et les récompenses n'étant pas toujours mal distribuées, le "Prix spécial du jury" du Festival de Cannes 1958 fut préféré au très bon I Soliti ignoti dans la catégorie du meilleur film étranger des Academy Awards 1959.
Les Arpel sont une famille bourgeoise habitant, dans un quartier résidentiel, une maison hyper-moderne pourvue des tout derniers perfectionnements électroménagers.
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Charles, le chef de famille, est le directeur de l'usine de fabrication de tuyaux Plastac. Son épouse est une parfaite et élégante femme d'intérieur. Leur fils Gérard, un garçon soigné, apprécie toutefois aller faire les quatre-cent-coups lorsque son cher oncle va le chercher à l'école. M. Hulot est un personnage oisif et rêveur qui agace prodigieusement son beau-frère en raison du mauvais exemple qu'il est sensé donner à Gérard. M. Arpel, surtout jaloux de la complicité entre son fils et Hulot, recommande celui-ci auprès du patron de l'entreprise S.D.R.C. Mais son entretien d'embauche, en raison de sa maladresse et d'un stupide quiproquo, est un échec. Il ne reste d'autre alternative pour les Arpel que d'essayer de le marier à leur snob voisine et à lui donner un poste au sein de Plastac.
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Jacques Tati avait, dès 1948 avec Jour de fête, apporté une tonalité nouvelle à la comédie française, à l'époque assez primaire. Son comique est, en effet, original et plus subtil, fondé sur la retenu et sur un imaginaire poétique. Toujours largement inspiré du mime et du splapstick, Mon oncle innove cependant par rapport aux films précédents par une continuité narrative ténue mais réelle, ce qui, comparé à la succession de sketches qu'était Les Vacances de M. Hulot, lui donne une plus grande cohérence formelle. La satire sociale y est aussi plus forte, reposant sur la qualité d'observation du cinéaste et sur le rôle de catalyseur du ridicule des autres qu'il tient lorsqu'il endosse les attributs du M. Hulot. Le contraste créé entre le St-Maur traditionnel et pittoresque, où les chiens se promènent en toute liberté, et la ville sans nom, mécanisée, ordonnée et apparemment rationnelle, véritable prison collective symbolisée par la permanence (même sur le piano) des lignes verticales du décor, est également frappant. Ou, en resserrant le champs, l'opposition radicale qui existe entre le bistrot "Chez Margot" où l'on se saoule gentiment entre amis ou ennemis et la cuisine, aseptisée et instrumentalisée comme une clinique, de Mme Arpel dans laquelle on a davantage l'impression de se soigner que de se nourrir. Mon oncle est enfin et surtout un poignant témoignage nostalgique sur un profond changement d'époque et de mode de vie.

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