"Les gens ne réussissent jamais à fuir."
Le cinéma de ces quarante dernières années ne serait probablement pas ce qu'il est si Alfred Hitchcock n'avait pas tourné Psycho. Il fait partie de ces quelques longs métrages, parmi lesquels Citizen Kane figure en bonne place, dont on ne ressort pas indemne et qui ont durablement influencé les réalisateurs du monde entier. N'est-il pas, implicitement ou explicitement, l'un des films les plus cités de l'histoire du cinéma ? Et l'un des plus étudiés ? Pendant qu'en Italie, Mario Bava tournait son Maschera del demonio et qu'en Grande-Bretagne, Michael Powell produisait un déroutant Peeping Tom qui allait mettre un terme à sa carrière dans son pays, Sir Alfred faisait l'unique (relative) incursion dans l'épouvante de sa campagne américaine. Pour cela, il adapte très librement le récent ouvrage éponyme de Robert Bloch, lequel venait et allait continuer de collaborer avec le réalisateur pour la série en cours Alfred Hitchcock Presents. L'histoire est inspirée d'une affaire réelle, celle d'Ed Gein, un tueur en série sévissant dans le Wisconsin, un parfait anonyme comparé au célèbre Norman Bates. L'une des raisons collatérale du puissant intérêt que produit Psycho est qu'il clôt également un cycle dans la carrière du maître. Hitchcock vient d'avoir soixante ans et va produire, avant de rentrer dans son Angleterre natale, ses quatre prochains films, à la qualité nettement moins affirmée, sous la bannière Universal.
Phoenix (Arizona). Vendredi 11 décembre. 2:43 PM. Marion Crane termine sa pause-déjeuner crapuleuse en compagnie de son amant, Sam Loomis. Divorcé, ce propriétaire d'un bazar dans une petite ville de Californie vient rendre visite à son amie à l'occasion de ses déplacements professionnels. Marion voudrait bien mettre un terme à cette situation, mais les moyens financiers de Loomis ne permettent pas d'envisager autre chose pour le moment. Elle arrive à l'agence immobilière où elle travaille juste avant son patron, M. Lowery, qui vient de conclure une belle affaire avec un de ses clients. Celui-ci compte régler la transaction, quarante mille dollars, en liquide. Inquiet de conserver au bureau une telle somme, Lowery demande à Marion d'aller déposer l'argent à la banque et l'autorise, la jeune femme souffrant d'un fort mal de tête, à ne pas rentrer à l'agence ensuite. Chez elle, Marion prépare une valise et quitte son appartement en emportant la liasse de billets. A un feu rouge, son patron, traversant la rue, s'étonne de la voir au volant de son véhicule malgré son état. Plus tard, fatiguée par la conduite de nuit, Marion s'endort sur la banquette de sa voiture.
Le matin, elle est réveillée et ses papiers contrôlés par un policier de la patrouille d'autoroute. En ville, elle change d'automobile chez un vendeur d'occasions sous les yeux du même policier, les deux hommes ne manquant pas d'être sérieusement intrigués par son comportement. La nuit est tombée, la pluie fait son apparition. Marion sort, sans s'en rendre compte, de l'autoroute et arrive à proximité d'un motel où elle s'arrête. Le gérant, un jeune homme nommé Norman Bates, lui loue une chambre et lui propose de partager le frugal dîner qu'il va se préparer. Venant de la maison qui surplombe le motel, Marion entend une vive discussion entre le garçon et sa vieille mère malade motivée par sa présence.
Après avoir vu Rear Window, Vertigo et le plus classique mais efficace North by Northwest, les amateurs du cinéma d'Hitchcock ont dû se demander s'il réussirait à au moins les égaler et à encore innover. L'auteur des 39 Steps, avec Psycho, les a largement rassurés, enfin, si l'on peut dire. Car le réalisateur met, en effet, tout son talent au service de la déstabilisation, de la perturbation du spectateur. A commencer par l'élimination du personnage que l'on croyait principal au cours du premier tiers du métrage. Après le climax de la fameuse scène de la douche (soixante-dix plans en quarante secondes), il apparaît désormais évident qu'une inversion fondamentale a été, dès l'origine, délibérément opérée : la mise sous tutelle du récit par la mise en scène. Et bien qu'une révélation soit attendue, notamment après la visite de Lila, la sœur de Marion, et Loomis au shérif adjoint Chambers, c'est la force suggestive de l'image (Hitchcock-John L. Russell) et de la musique (Bernard Herrmann) qui façonne le film. Le phénomène est particulièrement flagrant dans la scène du meurtre du détective Arbogast. Le défi semble, a priori, insensé dans la mesure où le budget est dérisoire (le cinquième de celui du précédent film), le tournage se faisant en noir et blanc et en un temps record (trente-six jours) dans les locaux Universal* où sont réalisés les épisodes de la série Alfred Hitchcock Presents. Ces conditions, quasi télévisuelles, de production ont probablement contribué à donner au film toute sa puissance et sa cohérence.
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*Paramount refusant de prêter ses studios.
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