"Je suis affreuse... Je suis folle."
Avant Les Quatre cents coups et A bout de souffle, le premier film personnel de Louis Malle bouleverse le cinéma hexagonal dominé jusqu'alors par les Delannoy, Christian-Jaque et autre Grangier. Bien qu'inspiré par le film noir américain, Ascenseur pour l'échafaud
surprend davantage par son style, son évident formalisme esthétique,
que par sa thématique et marque une rupture nette avec le paisible film
policier "à la française". Contrairement à Hitchcock, souvent cité comme l'une des références majeures de Malle,
celui-ci choisit volontairement d'inverser le paradigme du genre en
ralentissant l'action au fur et à mesure de la progression de la
narration. Les influences sont, en réalité, plutôt à chercher du côté d'Alexandre Astruc pour son abstraction et le soin dans la mise en scène et de Robert Bresson (dont Malle a été l'assistant sur Un condamné à mort s'est échappé), appliquant, dans une certaine mesure, avant lui la formule axiomatique de son aîné : "le cinéma n'est pas un spectacle, c'est une écriture."
Florence Carala et son amant, Julien Tavernier, ont planifié le meurtre de Simon,
le mari de la première et le patron du second. Un samedi soir, au siège
du puissant consortium militaro-industriel qu'il dirige, la future
victime attend, en partance pour Genève, un document confidentiel que
doit lui remettre son collaborateur, ancien parachutiste en Indochine et
en Algérie. Celui-ci en profite pour le tuer, maquillant le crime en
suicide avant de regagner son bureau comme il est venu, en utilisant un
filin accroché à la façade de l'immeuble. Tavernier quitte les
locaux accompagné par sa secrétaire et le gardien, tous deux
susceptibles, le cas échéant, de lui servir d'alibis. Alors qu'il
s'apprête à retrouver sa maîtresse avec sa grosse décapotable
américaine, il aperçoit le filin, oublié dans la précipitation, accroché
à la balustrade. Il remonte donc en ascenseur pour récupérer l'objet
compromettant au moment précis où le gardien actionne le levier général
d'alimentation électrique avant de partir. Bloqué entre deux étages, Tavernier ne peut s'extraire de la cabine. Pendant ce temps, Louis et Véronique, la jeune employée du fleuriste d'en face, lui volent son véhicule. C'est eux que Florence
voit passer sur le boulevard Haussmann, convaincue que son amant a
renoncé à son projet et l'a abandonnée pour partir avec l'adolescente.
Elle se met pourtant à sa recherche.
Près de cinquante ans après, le "Prix Louis Delluc"
1957 n'a pratiquement pas vieilli, une des probables raisons de son
constant succès et de son statut de classique du septième art. Même les
dia(mono)logues un peu emphatiques de Roger Nimier et la diction théâtrale de Jeanne Moreau, dans son premier grand rôle au cinéma, n'y font rien. Polar urbain, apparent descendant de The Postman Always Rings Twice, Ascenseur pour l'échafaud
est surtout une métaphore, froide et pessimiste, sur la solitude,
l'impossibilité d'être heureux et la délinquance. Les personnages, en
dehors des policiers qui ancrent le récit dans le réel, s'y croisent
comme des figures fantomatiques et narcissiques. Ce qu'il y a de plus
troublant chez eux, ce sont leurs regards qui semblent perdus dans un
vide sans fin et le sentiment persistant de leur vacance existentielle.
Outre la présence d'acteurs, tels Maurice Ronet, Lino Ventura, Charles Denner ou Marcel Cuvelier,
au début de carrières prometteuses, il faut souligner la contribution
inestimable des envoûtantes improvisations du quintette dirigé par Miles Davis* qui ont donné au film une partie de son mystère et son cachet incomparable.
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*constitué de Barney Wilen (sax. ténor), René Urtreger (piano), Pierre Michelot (contrebasse) et Kenny Clarke (batterie).
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