"Vous allez voir l'enfer comme si vous y étiez."
Pour ce vingtième chapitre des aventures de Zatoîchi, la Daiei veut marquer la série avec ce qu'elle appelle, en toute modestie, "le duel du siècle".
Le studio japonais avait-il mesuré le risque d'une action du public
pour publicité mensongère ? Car, pour le coup, le titre américain, "Zatoichi Meets Yojimbo" remet, cette fois-ci, utilement les sabres dans leur fourreau (expression consacrée remplaçant celle des pendules à l'heure !). L'idée de départ était, il est vrai, séduisante : opposer le désormais célèbre yakuza aveugle Ichi et le déjà mythique rônin imaginé et formidablement mis en scène, neuf ans plus tôt, par Akira Kurosawa. Qui plus est, en donnant à ce dernier les mêmes traits, ceux de Toshirô Mifune.
Mais, l'histoire du cinéma l'a prouvé, ce genre d'entreprise est
rarement couronné de succès. Surtout lorsque la promesse n'est pas
tenue. Zatôichi to Yôjinbô
n'est pas, loin de là, un mauvais film. Mais il est profondément
atypique dans la série et possède suffisamment de défauts, à commencer
par son hésitation entre drame authentique et comédie baroque, pour le
rendre déroutant aux yeux des amateurs de la saga... A moins qu'il
s'agissait de l'objectif recherché !
Désarmé et pris d'une langueur nostalgique au milieu de l'enfer d'un monde envahi par la violence, Ichi
décide de retourner dans un village paradisiaque où il avait séjourné
trois ans auparavant. Mais ce doux pays qu'embaumait la fleur de prunier
n'est plus ce qu'il était. A la suite d'une dramatique famine, il est
tombé sous la coupe du clan Kobotoké et de son parrain Masagoro (Masakane Yonekura) qu'une guerre vénale oppose à son propre père, le marchand Eboshiya (Osamu Takizawa). Masagoro
désire, en effet, mettre la main sur l'or que celui-ci a dissimulé dans
une cachette qu'il n'a pas encore découverte malgré ses efforts
incessants et le concours, il est vrai laxiste, du samouraï Sasa Yojimbo (Toshirô Mifune). L'ancien chef du village, Hyoroku (Kanjuro Arashi)
s'est, quant à lui, reconverti en tailleur de pierre et donné pour
mission, avant sa mort, de sculpter autant de statues Jinko que de
victimes, directes et indirectes (cent-trente), de la famine et de son erreur politique. Ichi, après avoir retrouvé avec émotion la belle Uméno (Ayako Wakao), visiblement éprise du soudard Yojimbo, devient le masseur et garde du corps d'Eboshiya.
Il apprend également que son patron a constitué son magot en
détournant, avec la complicité de son fils cadet, un officier d'Edo, une
partie de l'or destiné à la frappe de la monnaie, remplacée par un
métal moins précieux. Tout est bientôt près pour l'affrontement final.
D'autant que le mercenaire Kuzuryu (Shin Kishida) est arrivé en ville, prétendument pour protéger Eboshiya, et que Yojimbo n'est peut-être pas celui qu'il prétend être.
En reprenant la trame narrative du Yojimbo de Kurosawa (laquelle avait déjà inspiré, rappelons-le, un certain Sergio Leone), Zatôichi to Yôjinbô
n'évite pas de ressembler à un western "sabré", moins efficace que son
modèle. Mais là n'est pas son principal défaut. Le film en possède au
moins trois bien plus importants. Le premier est un traitement
totalement elliptique de l'histoire qui ne fait apparaître, sans solide
raison, les enjeux réels que tardivement. Le deuxième, formel mais
capital, c'est que le réalisateur use et abuse du montage alterné au
point de donner au spectateur l'impression de regarder des séquences qui
n'ont pas de liens entre elles, impression renforcée par l'absence de
moments véritablement forts ou de climax cohérent. Enfin, et le plus
grave, c'est le détournement de l'esprit du personnage de Zatôichi qui ne se contente plus de réagir à la violence mais la provoque en épousant la cause utopique (et, sur le plan du concept, suicidaire) d'Uméno, éliminer tous les yakuzas. Peut-être est-ce la faiblesse originelle du projet qui a contraint la Daiei à confier cet épisode de la franchise à Kihachi Okamoto, cinéaste qui n'y avait encore jamais participé (et pour lequel le film restera l'unique contribution), plus connu pour son film relatant le projet de coup d'état militaire dans le Japon post Hiroshima, Nihon no ichiban nagai hi (avec encore Toshirô Mifune à l'affiche). Coïncidence, la même année que Zatôichi to Yôjinbô, sortait Machibuse d'Hiroshi Inagaki, le seul autre film réunissant Shintarô Katsu et Toshirô Mifune, dans lequel ce dernier tenait également le rôle d'un Yojimbo.
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