"D'abord mes idéaux."
Entre une biographie d'Arthur Rimbaud(1991) et un documentaire sur l'Affaire Grüninger (1997), le réalisateur suisse Richard Dindo met en images le journal bolivien d'Ernesto 'Che' Guevara qui relate son dernier combat. On sait mieux, depuis Diarios de motocicleta,
que celui qui fut l'un des principaux héros de la révolution cubaine
aimait à tenir des carnets de voyage. Si son périple juvénile à travers
l'Amérique latine a, sans aucun doute, contribué à forger sa conviction
politique et développé son empathie vis-à-vis des plus pauvres, sa
longue errance au départ du camp de Nancahuazu lui a apporté la fatale
démonstration de la distance qui le séparait encore de la société idéale
à laquelle il rêvait. Ernesto Guevara
qui a prouvé, à plusieurs reprises, qu'il était un homme intransigeant
lorsque ses idéaux étaient en jeu, ne pouvait endosser le treillis d'une
révolution institutionnelle. Opposé au communisme de la guerre froide,
son ambition socialiste était à l'échelle de toute la partie méridionale
du continent où il était né, pré carré "naturel" du grand ennemi
yankee. Rarement l'expression "mourir pour des idées" n'aura été aussi adaptée que dans son cas.
Le documentaire couvre les onze derniers mois de Guevara,
et un peu plus. En effet, si le journal proprement dit débute le 7
novembre 1966 pour s'achever le 7 octobre de l'année suivante, le film
propose une introduction et une conclusion qu'il ne possède pas. Tout
débute avec le discours, prononcé en février 1965 par Guevara,
ministre de l'industrie du Président Carlos Rivero Agüero, lors d'une
conférence afro-asiatique qui se tient à Alger, dans lequel il "reproche au camps socialiste d'exploiter les pays du tiers-monde et d'être, ainsi, complice de l'impérialisme occidental." De retour à Cuba, Guevara
est contraint, sous l'amicale mais ferme pression soviétique, de
démissionner. Il quittera, volontairement, son pays d'adoption le 12
mars, laissant sur place femme et enfants. Après un passage au Congo, il
arrive à La Paz le 3 novembre 1966 et se rend, dans les jours qui
suivent, sur le terrain de la guérilla, dans la région de Santa Cruz.
L'objectif qu'il s'assigne est de développer celle-ci en direction des
pays limitrophes. Ses moyens de départ sont modestes. Cinquante et un
hommes (30 boliviens 16 cubains, 3 péruviens et 2 argentins)
mais la conviction, erronée, que leurs actions feront adhérer les
paysans, qu'ils défendent, à leur cause. Quelques dates essentielles
résument le journal tenu par Guevara.
31 décembre 1966 : échec de l'entretien avec Monje, le secrétaire
général du PC bolivien, qui revendique, sans succès, l'autorité
politico-militaire de la guérilla. 11 mars 1967 : désertion de deux
boliviens qui informent les autorités militaires du pays. 23 mars :
premier combat, sept soldats gouvernementaux sont tués et des officiers
sont faits prisonniers. 4 avril : découverte du camp de base de la
guérilla par l'armée. 6 et 7 juin : manifestation de solidarité avec la
guérilla des mineurs d'Huanuni et décret d'état de siège. 26 juin : le
lieutenant Carlos Cuello, dit Tuma, le plus proche des collaborateurs de
Guevara,
est tué. 24 juillet : violente et sanglante répression des mineurs de
Catavi et Huanuni. Septembre : l'armée bolivienne, équipée et formée par
des soldats US, poursuit le groupe résiduel de guérilleros. Le 8
octobre, Guevara
est repéré et arrêté dans les gorges de Yuro. Emmené à La Higuera, il
sera exécuté le lendemain en présence d'un officier supérieur bolivien
et d'un agent de la C.I.A.
Présenté au Festival de Locarno 1994 et FIPA* d'or 1995, Ernesto Che Guevara, le journal de Bolivie
est le premier documentaire** qui ait mis en lumière cette période de
la vie du révolutionnaire idéaliste. Apparemment de facture classique,
son originalité tient au fait que les lieux et les témoins les plus
proches des événements n'aient quasiment pas changé. En suivant le
parcours emprunté par Ernesto Guevara
et ses hommes, en écoutant les commentaires des habitants qui les ont
rencontré, le spectateur a presque le sentiment d'être avec eux. Bien
entendu, le film repose également, pour partie, sur de nombreuses images
d'archives. Mais, seules, elles n'auraient pas permis la même
imprégnation dans cette aventure utopique devenue une tragédie
pathétique. Le film est, comme la progression au milieu des reliefs et
paysages boliviens, lent et contemplatif, impression renforcée par la
narration monocorde de Jean-Louis Trintignant (lecture du journal) et de Christine Boisson (pour les autres parties).
La dimension et l'engagement politiques du document sont discrets mais
réels. L'auteur ne s'en cache d'ailleurs pas dans l'interview qu'il
donne en marge du film. Formulons, en conclusion, un regret : l'absence
des témoignages des compagnons survivants du 'Che'.
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*Festival International de Programmes Audiovisuels.
**la production franco-argentine El Che, réalisé par le couple Aníbal Di Salvo-Maurice Dugowson date de 1997.
**la production franco-argentine El Che, réalisé par le couple Aníbal Di Salvo-Maurice Dugowson date de 1997.
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