"Qu'est-ce qui est en jeu ?"
Cet étonnant premier film, en tant que réalisateur, du pilote de ligne reconverti dans le métier d'acteur Enrique Pineyro (aperçu chez Marco Bechis et dans Nordeste de Juan Diego Solanas),
est une œuvre atypique, profondément personnelle mais aux évidentes
résonances collectives. Car au-delà de l'histoire d'un homme face à une
entreprise, le film peut aussi être vu comme une pertinente métaphore
d'un pays, l'Argentine, qui va bientôt dramatiquement renouer avec ses
démons de crise économique et sociale et d'un régime, la présidence à
bout de souffle de Carlos Saúl Menem. "Prix du public" dans son pays de production, Whisky Romeo Zulu a reçu en 2004 le "Soleil d'or" du Festival des cinémas et cultures d'Amérique latine de Biarritz.
L'enquêteur est sur le point de le recevoir. Depuis qu'il est enfant, même si sa passion était réprouvée par son père, T. veut devenir pilote d'avion. Le rêve est à présent devenu réalité, il porte dorénavant les épaulettes de commandant de bord de Boeing 737-200 pour la compagnie privée LAPA. Mais la joie est de courte durée, la maintenance des appareils laissant régulièrement à désirer. T.
alerte, en vain, la direction dont l'objectif est avant tout d'assurer
la croissance et la rentabilité de l'entreprise en multipliant ses vols,
quitte à ce que cela se fasse au détriment des strictes procédures de
sécurité. T. retrouve au même moment Marcela qu'il a
aimé lorsqu'ils fréquentaient le collège. Celle-ci, mariée, est toujours
sensible au charme de son ancien camarade, mais elle hésite pourtant à
initier une liaison avec lui. Un jour, après une grave anomalie de
commandes survenue pendant un vol, T. refuse de décoller à
cause de l'existence récurrente d'une panne d'alarme incendie sur son
appareil. Il est remplacé, au pied levé, par son collègue Gonzalo, moins sourcilleux parce que financièrement plus dépendant de son emploi.
Whisky Romeo Zulu aurait tout aussi bien pu s'appeler, en s'inspirant du titre d'un célèbre roman du Colombien Gabriel García Márquez, "Chronique d'un drame annoncé".
Le film s'articule autour d'un fait réel, l'accident au décollage d'un
avion de ligne à Buenos Aires, le 31 août 1999, faisant soixante-sept
victimes. Enrique Pineyro
choisit habilement de le construire en flash-back, créant ainsi dès
l'ouverture une tension très palpable même si le spectateur n'en connaît
pas précisément les raisons. Puis, pièce par pièce, le "meccano" va
insidieusement prendre forme pour aboutir à l'inéluctable et fatale
catastrophe. Entre documentaire et fiction, Whisky Romeo Zulu,
malgré ses subtiles lenteurs, parvient à retenir l'attention du public
et, finalement, à le séduire. D'abord par les enjeux économiques et
sociaux qu'il sait mettre en avant, ceux constamment actuels d'un être
seul face à un système, au choix, obnubilé ou corrompu. Cet aspect est
d'autant plus percutant que le film s'apparente à une véritable
"reconstitution" au sens judiciaire du terme dans laquelle le
réalisateur endosse son propre et inconfortable rôle, celui de
l'insupportable Cassandre pour des individus testant en
permanence les limites de la déréglementation du trafic aérien. Ensuite
parce qu'il est également l'amer constat d'une double désillusion
passionnelle, professionnelle et sentimentale, dont les imbrications ne
donnent que plus d'intérêt au récit.
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