"... Avec intensité."
L'idée
de produire un film entre thriller et drame psychologique dans le
milieu des instrumentistes classiques constituait un pari plutôt
délicat. Denis Dercourt
le réussit en particulier grâce à la qualité d'interprétation de ses
actrices principales. Il faut, bien sûr, accepter d'entrer dans un
univers essentiellement romanesque*. Mais, cette légère concession
accordée, La Tourneuse de pages, présenté l'année dernière au Festival de Cannes dans le cadre de la section "Un Certain regard", nous entraîne alors avec subtilité et concision dans l'agogique de sa petite musique de chambre.
Enfant, Mélanie Prouvost
a échoué au concours d'entrée en classe de piano du conservatoire,
troublée par l'attitude désinvolte de la présidente du jury, une
pianiste concertiste réputée. Elle a alors définitivement abandonné la
pratique de son instrument pour se consacrer à ses études. Devenue une
séduisante jeune diplômée, elle entre comme stagiaire dans un grand
cabinet d'avocats dirigé par Jean Fouchécourt, l'époux de la femme à l'origine son cruel échec musical. Peu avant la fin sa période de stage, Mélanie propose à son employeur de remplacer, pendant les vacances, la personne qui s'occupe de son fils Tristan.
Reconnue comme une collaboratrice efficace et dévouée, elle voit son
offre aussitôt acceptée et est envoyée dans la grande propriété que
possède les Fouchécourt à l'extérieur de la capitale. Ariane Fouchécourt, psychologiquement fragilisée par un accident de la route, trouve rapidement en Mélanie
le soutien dont elle a besoin. Lorsqu'elle découvre ses connaissances
musicales, elle en fait sa tourneuse de pages pour un prochain concert
déterminant pour la suite de sa carrière.
Qui a-t-il de pire que de se voir voler ses rêves ? La vengeance est évidemment au cœur de l'intrigue de La Tourneuse de pages. Le talent de Denis Dercourt
est de parvenir à placer le spectateur durablement en suspension et à
le surprendre. Cela s'opère sans artifice, dans des décors d'un grand
dépouillement, comme pour ne pas donner de prise, nous égarer davantage
encore. Les thèmes de la différence sociale et de la célébrité sont
également abordés en filigrane. Il règne pendant le film une atmosphère
assez singulière, aux accents chabroliens, impression renforcée par les compositions originales et parfois herrmanniennes de Jérôme Lemonnier. Catherine Frot rend avec sobriété le complexe déséquilibre de son personnage tandis que Déborah François, dans un rôle très différent de celui de Sonia dans L'Enfant, est, entre douceur et cruauté, remarquable de conviction et de naturel.
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*moins marqué cependant que dans L'Accompagnatrice tiré de l'ouvrage de Nina Berberova.
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