lundi 27 février 2006

Touche pas à la femme blanche !


"Anthropologue ?"

Amusante et originale idée de vouloir tourner un western anachronique en prenant pour décor la gigantesque excavation des travaux d'aménagement du quartier parisien des Halles. Pendant que Jean Yanne, co-producteur du film de Marco Ferreri, et Robert Beauvais imaginait l'invasion de Paris par les Chinois, le cinéaste italien transposait, près d'un siècle plus tard, la bataille de Little Big Horn au cœur de la capitale française, province supposée de l'empire américain défait au Viêt-nam et signataire sur place des accords de 1973. Un heureux concours de circonstances voudra que le film sorte quelques mois seulement avant la démission de Richard Nixon, une des figures emblématiques de Touche pas à la femme blanche !. Pour interpréter cette farce satirique yannienne, Ferreri fait naturellement appel au quatuor d'acteurs qui venait de s'illustrer dans La Grande bouffe, son précédent film, et à Catherine Deneuve, la compagne de Marcello Mastroianni et qui tenait le rôle titre dans Liza. Par certains aspects, le film reste drôle mais son propos politique sous-jacent est devenu aujourd'hui un peu désuet.
Au nom du progrès et de la civilisation, un groupe de distingués représentants du pouvoir économique tente d'échafauder un projet visant à éliminer les indiens. Ceux-ci ont, en effet, quitté leur réserve et s'aventurent sans vergogne sur le site d'implantation de la future voie de chemin de fer. Le groupe sollicite le général Terry pour orchestrer la stratégie de cette opération, lui associant le colonel George Armstrong Custer pour la conduire sur le terrain. Pendant que celui-ci s'éprend de la douce et blanche Marie-Hélène de Boismonfrais, Taureau assis écœuré par les actions de représailles menées contre son peuple et convaincu par les arguments du Fou, réunit les chefs indiens et prépare la guerre. Une perspective qui n'est pas sans réjouir Mitch, le contrarié éclaireur indien de Custer.
Disons le d'emblée, l'un des atouts principaux de Touche pas à la femme blanche ! est de témoigner de la profonde transformation urbaine opérée au cœur de Paris après le transfert du marché des Halles à Rungis et à La Villette décidé en 1959. Les travaux de démolition des pavillons Baltard, débutés en 1971, offrent au film, au cours de l'été 1973, un décor inhabituel (le fameux "trou", appelé "grand trou des collines noires" dans le scénario, est également visible dans Le Locataire de Roman Polanski). Le projet suscita une polémique plus vive et durable que celle que connu Touche pas à la femme blanche ! au moment de sa sortie. Sur le plan artistique, le film alterne entre bouffonnerie et comédie poétique, empruntant quelques une de ses idées au slapstick, à la bande dessinée et au cartoon. Il sacrifie aussi volontiers (volontairement ?) aux erreurs qui accompagnent souvent la figure historique du général de cavalerie George Armstrong Custer*. La dénonciation de l'idéologie impérialiste américaine et de toutes ses déclinaisons violentes et manipulatrices perd, sous cette formulation prosaïque, délirante et caricaturale, une bonne partie de son intérêt et de sa vigueur démonstratrice.
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*celui que l'on présente à tort comme un massacreur d'indiens égocentrique aux ambitions présidentielles était, en réalité, respecté et souvent admiré par ses adversaires et failli être radié de l'armée pour avoir critiqué, devant une Commission officielle, la politique des réserves indiennes du gouvernement des Etats-Unis. Pour l'anecdote, deux des personnages du film, le chef sioux 'Taureau assis' (Sitting Bull) et Buffalo Bill, collaboreront en 1885 dans le spectacle de ce dernier, "The Wild West Show".
Il est en revanche possible que le procès concernant le militaire, dont il est fugitivement question, fasse référence à celui intenté au lieutenant William Calley, chef de section au Viêt-nam, responsable d'un massacre de civils vietnamiens, y compris de jeunes enfants, à My Lai en 1968. Incarcéré, Calley ne reçut en 1970 qu'une sentence légère en cour martiale avant d'être gracié par le président Nixon.

dimanche 26 février 2006

Quem Espera por Sapatos de Defunto Morre Descalço (celui qui attend des souliers du défunt meurt pieds nus)


Il y a, en substance dans ce deuxième court-métrage de Monteiro, tout ce que sera son cinéma : poésie en prose, symbolisme, figure centrale de la femme... Elliptique, voire hermétique, ce Quem Espera por Sapatos de Defunto Morre Descalço si étrangement intitulé, est avant tout un proverbe, c'est à dire une forme métaphorique fondée sur une expérience réelle et porteuse d'un enseignement commun à un groupe d'individus. Il n'est pas sûr que le message soit aisé à comprendre, mais rien ne nous empêche d'essayer... et essayer encore.

vendredi 24 février 2006

Le Souffle au cœur


"... Il y a plusieurs façons d'aimer, tu sais."

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Revenu d'Inde, où il a notamment réalisé une somme documentaire de plus de six heures, la remarquable série de sept épisodes intitulée L'Inde fantôme, Louis Malle a l'envie, peut-être ressent-il la nécessité, de revenir à des sujets plus intimes. Et l'on ne peut contester que Le Souffle au cœur soit la première de ses œuvres authentiquement personnelles. Pas d'inspiration littéraire formelle pour un scénario qu'il rédige seul en y convoquant ses propres souvenirs d'enfant, y compris des éléments autobiographiques. Le film, présenté à Cannes en 1971 et nommé pour son scénario aux Academy Awards 1973, est souvent considéré comme le moins intéressant de la trilogie sur la jeunesse qu'il constitue avec Lacombe Lucien et Au revoir les enfants*. C'est aussi le plus courageux puisqu'en abordant, à la marge, un thème aussi délicat que celui de l'inceste, il s'opposait d'emblée, et de manière consciente après Les Amants, à la morale bourgeoise et la censure dans une France reprise en main après les événements du printemps 1968 dont l'un des slogans était "Vivre sans temps mort et jouir sans entrave".
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Dijon, printemps 1954. Laurent, quatorze ans, est le cadet des trois enfants Chevalier. Charles, le père, gynécologue, n'entretient pas de bonnes relations avec ses fils ; son épouse Clara, la fille d'un réfugié italien et sans profession, entretient une tendresse particulière et réciproque avec son benjamin. Amateur de jazz, de Boris Vian et de Marcel Camus, Laurent est, contrairement à ses deux frères Thomas et Marc, un brillant élève du collège de curés qu'il fréquente. Un après-midi, sorti plus tôt de l'école, il aperçoit sa mère quitter la maison pour monter à bord d'une 203 conduite par un inconnu. Fou de rage, il se montre désagréable avec les domestiques, s'en prend aux vêtements de Clara et entre en conversation avec la veuve poignet. Pendant le déplacement à Paris du couple Chevalier, Laurent flirte avec une des jeunes femmes plus âgées invitées par ses frères pour une soirée. Thomas et Marc l'emmènent, peu après, perdre son pucelage avec Freda, une des péripatéticiennes travaillant dans le club de Mme Madeleine. Mais une mauvaise blague des deux aînés l'empêche d'aller au terme de son plaisir. Pendant un camp scout avec ses camarades d'école, Laurent tombe malade. Le médecin diagnostique une légère infection cardiovasculaire, couramment appelée "souffle au cœur". Laurent part alors, seul avec sa mère, faire une cure à Bourbon-les-Eaux.
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Après Jean Vigo (Zéro de conduite), le duo Melville-Cocteau (Les Enfants terribles) et François Truffaut (Les Quatre cents coups), c'est au tour de Louis Malle de proposer sa vision de l'adolescence et de produire l'un des films les plus intéressants sur le sujet. Entre tradition et modernité, le cinéaste balance mais opte pour la première comme il choisit Charlie Parker plutôt que John Coltrane, peut-être aussi pour une question de tonalité, pour accompagner musicalement les péripéties du jeune Laurent Chevalier. On est assez loin du sympathique mais plus modeste La Première fois de Claude Berri qui se situe historiquement à peu près à la même époque, lui aussi autobiographique et rythmé par une bande musicale de jazz. Ce qui est troublant dans la progression narrative du film, sans être étonnant lorsque l'on connaît la culture et la finesse du réalisateur et scénariste, c'est qu'elle suit à la lettre celle décrite par les travaux de Freud à propos du complexe d'Œdipe. A la phase phallique et à celle de castration, illustrées par la découverte de l'adultère, par la première des deux scènes de complicité entre le couple Chevalier et par l'épisode du coïtus interrompus avec Freda, succède une résolution singulière qui a valu au film une partie de sa sulfureuse notoriété. Le Souffle au cœur n'était pas le premier film, ni le dernier d'ailleurs (La Lune de Bertolucci ou La Passion Béatrice de Tavernier notamment), à traiter de l'inceste. L'explicite My Lover My Son, avec Romy Schneider, l'avait précédé d'un an. Abordé à la fin du film avec toute la pudeur et la délicatesse qui caractérisent Malle, il faut davantage y voir une "expérience", sorte de "deux ex machina" emprunté au théâtre de Sophocle favorisé par le comportement d'une mère restée elle-même une adolescente romantique, qu'une réelle volonté de provocation libidinale. Malle associe, par touches, à ce thème celui de l'homosexualité et en profite également pour régler quelques comptes avec la bourgeoisie, l'église et l'armée dans ce contexte troublé qui précédait la bataille de Dien Bien Phu.
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*les trois films ont, parmi leurs points communs, d'avoir une guerre pour toile de fond.