"... Démons couronnés."
En 1995, pour le centième anniversaire du cinéma, le concile pontifical publiait une liste de "films importants", répertoriés en trois catégories : religion, mérites et art. Dans la première, au milieu de La Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer, Ben-Hur de Wyler, The Mission de Roland Joffé et Thérèse d'Alain Cavalier, figurait Nazarín. De deux choses l'une : soit Jean-Paul II avait un profond et méconnu sens de l'humour, soit la présence de l'œuvre de Buñuel
relevait d'un formidable contresens. Dans cette seconde et plus
vraisemblable hypothèse, cela n'a rien d'étonnant, car le message du
film est ambigu. Il l'est moins lorsque l'on connaît le réalisateur et
ses autres productions. Ce qui n'empêcha pas Buñuel, interrogé sur ses intentions, de répondre, jouant avec malice à la fois sur cette ambiguïté et sur sa surdité, qu'il était "un cinéaste athée, grâce à Dieu." Nous savons qu'il était, comme Benito Pérez Galdós,
un anticlérical complexe mais convaincu. Le film est la première des
trois adaptations qu'il réalisera d'ouvrages de son compatriote. Pérez Galdós est, après le mythique Cervantes, un des plus grands écrivains de la littérature espagnole. Son réalisme rappelle les œuvres de Balzac ou de Dostoievski. D'inspiration éthique comme le roman éponyme publié en 1895*, Nazarín a obtenu le "Grand prix international" du Festival de Cannes en 1959.
Le prêtre Nazario réside à Mexico dans l'"Auberge des héros",
sorte de cours des miracles, au milieu des voleurs, des prostitués et
des mendiants. Son dénuement n'a d'égal que sa générosité et son
abnégation qui sont totales, vivant des quelques messes qu'il officie.
Parce qu'il a été dénoncé pour avoir porté assistance et hébergé Andara,
une fille publique coupable d'un homicide, il est relevé par l'évêché
de son ministère. Devenu simple pèlerin subsistant grâce à l'aumône, il
part sur les routes où il ne rencontre que mépris, insulte et violence.
Arrivé dans le village de Beatriz, une pécheresse revenue de la capitale sur son conseil, et d'Andara, Nazario
prie avec ferveur, à leur demande insistante, pour le rétablissement
d'une petite fille gravement malade. L'enfant recouvre peu après la
santé et sa famille est convaincue qu'il s'agit d'un miracle. Beatriz et Andara
sont alors décidées à suivre l'exemple de l'ancien prêtre et, contre
son gré, à l'accompagner. Sous la dictature de Porfirio Diaz, cet
insolite trio ne manquera d'attirer l'attention des populations
rencontrées, un sérieux handicap lorsque l'on est recherché par les
gendarmes.
Buñuel
a certainement dû savourer les exégèses passionnées des critiques,
croyants et incroyants, et leurs débats contradictoires provoqués par
l'un de ses films préférés. La question essentielle posée par Nazarín
est de savoir s'il est aujourd'hui possible de vivre une existence
christique. Rejeté, comme rebelle, par l'église institutionnelle et pour
sa passivité ou pour sa lâcheté par les hommes, Nazario,
malgré la sincérité de sa foi, ne peut que finir par douter, refusant un
geste de charité dans lequel il ne voit plus que de la pitié. Son
ambition pour le sacré est sans cesse profanée, à l'image de son (amusant) échange avec une femme touchée par la peste qui rappelle irrésistiblement, en sévère réduction, le "Dialogue entre un prêtre et un moribond" du marquis Donatien Alphonse François de Sade. Le désir l'emporte sur l'amour, la superstition sur le théisme. La démonstration dialectique de Nazarín est, avec des arguments différents, assez proche de celle de Graham Greene dans "La Puissance et la Gloire" (1940). La condition humaine ne permet pas l'élévation et ne peut s'affranchir du mal.
Très différent, y compris sur le plan cinématographique, de La Mort en ce jardin qui le précède, Nazarín
est remarquablement mis en scène. Les deux actes contrastés, le premier
en quasi huis-clos, profitent pleinement de la photographie
expressionniste de Gabriel Figueroa dont c'est, après Los Olvidados et El, la troisième des sept collaborations avec Buñuel. La distribution, dans son ensemble, ne dépare pas. Francisco 'Paco' Rabal y trouve probablement l'un des meilleurs rôles du début de sa carrière. Belles prestations de l'Argentine Marga López et de la Mexicaine Rita Macedo qui apparaissait déjà en tête d'affiche dans Ensayo de un crimen.
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