mardi 12 octobre 2004

21 Grams (vingt et un grammes)


"Jusqu'à ce qu'elle nous réunisse. Dans ce rêve."*

Après un premier film, Amores perros, remarqué et apprécié, le réalisateur mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu a l'idée d'en reprendre la trame narrative pour la transposer de l'autre côté de la frontière, aux Etats-Unis. Pour 21 Grams, financé par des producteurs US (budget : 20M$, soit dix fois plus que pour son premier film), il conserve la majeure partie de son équipe technique, recrute un trio d'acteurs prestigieux et part s'installer trois mois à Memphis (Tennessee). Le résultat est percutant. Même s'il n'y est pas récompensé, le film est sélectionné dans plusieurs festivals et ses principaux acteurs sont régulièrement cités pour leur prestations, aux Academy Awards notamment et à Venise où Benicio Del Toro et Naomi Watts reçoivent le "Prix du public" et Sean Penn la "Coupe Volpi".
Le destin croisé des membres de trois familles. Paul Rivers (Sean Penn) attend d'urgence une transplantation cardiaque. Son épouse, Mary (Charlotte Gainsbourg), qui le soutient, est en quête de maternité et convainc Paul d'accepter le principe d'une insémination artificielle. Cristina Peck (Naomi Watts), dont le passé est apparemment moins honorable que sa situation présente, est mariée et mère de deux adorables petites filles. Jack Jordan (Benicio Del Toro), ancien délinquant et taulard, a trouvé, malgré ses petits boulots, un espoir dans la foi chrétienne. Lorsque celui-ci est renvoyé du club de golf dans lequel il est caddie et alors qu'il regagne sa famille et ses amis pour fêter son anniversaire, il renverse Michael, Cathy et Laura Peck qui, tous les trois, trouvent la mort dans l'accident. Paul reçoit le coeur de Michael. Les trois personnages, que la fatalité a déjà réunit une première fois, vont à nouveau se retrouver à l'initiative de Paul.
Ce n'est que le début et dans l'ordre. Car la particularité du film de Inarritu, bien que tourné dans la chronologie des événements, est qu'il ait fait l'objet d'un montage parallèle (discursif diraient les spécialistes) sur la totalité du métrage. On sait, depuis déjà quelques années, que le public apprécie les scripts qui bousculent la linéarité de la narration. Certains films ont bâti leur réputation sur ce modèle. Dans 21 Grams, il ne s'agit pas d'un gimmick. Le réalisateur met le spectateur dans la situation d'un amateur de puzzle (sans modèle). A partir de quelques images éparses, parfois fugitives, initiales ou finales puisque ici le temps est un paramètre crucial, se créent une idée et des impressions d'abord imprécises de l'ensemble. Jusqu'à ce que l'on puisse, lorsque suffisamment d'éléments ont été rassemblés et identifiés, "recoller définitivement les morceaux". C'est, dans le traitement opéré par Inarritu et son monteur Stephen Mirrione (dont le travail sur Traffic avait été récompensé par un "Oscar"), une talentueuse façon de dérouter provisoirement le public, renforcer la tension dramatique tout en désamorçant, par la dilution "syntaxique", l'impact et la dimension conventionnelle de l'événement tragique au cœur du récit. Mais la méthode seule n'aurait pas suffit pour donner au film la force qu'il possède.
Les acteurs, principaux comme secondaires, en particulier parmi ces derniers Melissa Leo et l'étonnante Charlotte Gainsbourg(dont ce n'est pas le premier film anglo-saxon puisqu'elle a tenu un premier rôle dans The Intruder de David Bailey), ont apporté ce supplément d'âme susceptible de faire de ces événements, qui, il faut le reconnaître, pourraient être malheureusement banals, une belle histoire de vie et de mort, d'amour, de douleur et de culpabilité, qui flirte souvent délicatement avec une certaine poésie fantastique. Avec ses mélanges de qualités de pellicules et sa thématique par couleurs et éclairages, la photographie de Rodrigo Prieto contribue assez largement à cette atmosphère presque onirique, renforcée par la bande musicale de Gustavo Santaolalla(qui a récemment signé celle de Diarios de motocicleta) proche des compositions du guitariste jazz John Abercrombie. Sans nul doute un des tous meilleurs films de l'année**.
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*in "La Tierra Giro para Acercarnos" du poète vénézuélien Eugenio Montejo.
**2003 ou 2004 ? le film est sorti en novembre en Amérique et en janvier chez nous !

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