"C'est bizarre. Je dois t'aimer pour pouvoir m'aimer moi-même."
Avant d'être reconnu dans son pays grâce à sa trilogie Ningen no joken et connu en Occident pour ses fameux jidai-geki, Masaki Kobayashi, entré à la Shochiku
en 1941, réalise à partir de 1952 plusieurs films très critiques à
l'égard du Japon d'après-guerre. Un an après la disparition de Kenji Mizoguchi, l'ancien prisonnier de l'armée américaine à Okinawa adapte le roman de Takeo Tomishima dont l'histoire se déroule dans l'immédiate proximité d'une base tokyote de G.I. Kuroi kawa est notamment marqué par la confrontation contrastée que se livrent Tatsuya Nakadai et Fumio Watanabe, qui ont débuté avec Kobayashi (et seront à nouveau partenaires chez Heinosuke Gosho et Masahiro Shinoda), aux côtés d'Ineko Arima, interprète principale la même année du Tôkyô boshoku de Yasujiro Ozu.
L'étudiant en génie civil Kenzo Nishida,
à la recherche d'un logement bon marché, atterrit dans le sordide foyer
exploité par une veuve coquette et atrabilaire. Dans cette banlieue de
Tokyo où une garnison de l'armée US a pris ses quartiers, Nishida croise puis rencontre autour de la gare la jolie Shizuko Yaniguchi, serveuse dans un restaurant de la ville. Mais la jeune femme est convoitée par Jo,
le chef d'une bande de voyous dont certains servent de rabatteurs pour
les prostituées. L'individu, imprévisible et violent, est également
chargé par un certain Kuroki de négocier auprès de la propriétaire le rachat du foyer où loge Nishida et de l'expulsion de ses occupants.
Comme plusieurs productions nipponnes des années 1950*, Kuroi kawa
dépeint certains des effets de la défaite du Japon et de l'influence
occidentale sur la vie et la corruption des mœurs de ses habitants. Par
son réalisme social, quoique parfois poétique, le film de Masaki Kobayashi tranche avec le lyrisme littéraire du Donzoko d'Akira Kurosawa, sorti également en 1957. Difficile pourtant de ne pas voir en Shizuko
une allégorie de l'Empire du soleil levant, dissoute par un dilemme
sentimentale, ballottée entre un conquérant violent et séducteur et un
amoureux courageux mais légaliste. Kuroi kawa**, qui clôt la première période de la carrière de l'ancien assistant de Keisuke Kinoshita, ne préfigure pourtant pas ou peu Ningen no joken, le monumental chef-d'œuvre du cinéaste dans lequel se révélera l'excellent Tatsuya Nakadai.
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*par exemple le Taiyo no hakaba de Nagisa Oshima.
**dont le score semble influencé par celui d'Elmer Bernstein pour The Man with the Golden Arm.
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