"... Il ne faut pas désespérer."
Monumental, Berlin Alexanderplatz ne l'est pas seulement par la durée* mais aussi par l'ambition. Près de cinquante ans après la version de Phil Jutzi avec Heinrich George dans le rôle principal, cette adaptation de l'œuvre la plus connue d'Alfred Döblin, publiée en 1929, constitue sans doute également l'une (la ?) des pièces maîtresses de la courte mais intense carrière de Rainer Werner Fassbinder,
qui ne manque pourtant pas de "sommets". Celle qui traduit probablement
le mieux les obsessions humaines et artistiques du cinéaste bavarois,
dont l'investissement dans ce projet a été très important.
Envisagée dès 1976 en association avec la chaîne de télévision allemande WDR,
cette coproduction germano-italienne, dotée d'un budget de treize
millions de marks, entre véritablement en phase de tournage de juin 1979
à avril 1980. Présenté à la 37e édition de la Mostra de Venise, le film est ensuite diffusé en treize épisodes et un épilogue** à partir du mois d'octobre 1980 sur la chaîne publique ARD. Le Berlinois Günter Lamprecht, remarqué en 1976 dans Das Brot des Bäckers d'Erwin Keusch et second rôle du récent Die Ehe der Maria Braun, est choisi par Fassbinder pour interpréter le personnage de Franz Biberkopf.
Relâché de la prison de Tegel où il a purgé une peine de quatre ans pour le meurtre de sa maîtresse Ida, Franz Biberkopf tente de commencer une nouvelle vie en jurant de rester honnête. Il retrouve son ami Gottfried Meck, prend la Polonaise Lina Przyballa pour amante et l'invite à vivre avec lui dans le modeste appartement, lieu de son crime, loué par Frau Bast.
Dans le Berlin des années 1920, l'existence est rude et le travail
plutôt rare. Vendeur d'un journal national-socialiste, il est pris à
parti par ses anciens camarades de gauche. Grâce à Lina, Franz se reconvertit dans le lacet de chaussure mais il est bientôt trahi par Otto, son collègue et l'oncle de la jeune femme. Il disparaît alors pour sombrer dans une profonde dépression alcoolisée. Eva,
une prostituée qui fut aussi sa maîtresse, lui donne le courage de se
relever. Il refait commerce de journaux et rencontre l'étrange Reinhold Hoffmann, employé du riche homme d'affaires Pums, dont il devient l'ami en lui rendant un singulier service.
Si Edgar Reitz nous avait très favorablement étonné avec ses chroniques allemandes Heimat, Rainer Werner Fassbinder
lui nous impressionne avec cette série exceptionnelle, possédant des
qualités cinématographiques indéniables, comme d'ailleurs la plupart des
productions télévisuelles du réalisateur. A l'inverse de la tétralogie
réaliste de Reitz, Berlin Alexanderplatz
n'est pas à proprement parlé une chronique, mais davantage une fiction
psychologique, aux détours moraux et sociaux, ne reniant pas son origine
romanesque. Il est même permis de penser également que la structure
narrative de l'ouvrage, son découpage proche de celui d'un film, son
"urbanisme" et sa "noirceur" implicite (comme l'on dit d'un film qu'il est noir) ont certainement dû participer à la fiévreuse décision du cinéaste de le porter à l'écran.
Fondé sur la mort et le crime, alimenté par la culpabilité et la trahison, Berlin Alexanderplatz est le récit d'une fatalité ("on ne se retourne pas pour éviter de revenir")
et d'un apprentissage, purgatif et déroutant, prenant pour décor la
confuse et moribonde République de Weimar. On est d'emblée saisi par ce
vivace décalage entre pensée et réalité, cette tentative de mise en
équation de l'existence par le langage, ces décalés collages insérés en
voix off par le réalisateur lui-même***. Esthétiquement théâtral,
évidemment lent et dialogué, remarquablement interprété, ce film est, à
bien des égards, une clef essentielle pour approfondir la compréhension
de l'œuvre de Fassbinder.
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*quinze heures.
**voir détail des épisodes en annexes.
***fidèle en cela à l'esprit et à la lettre du roman originel.
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