Il est de certains films comme du vin(1), se bonifiant avec le temps. Tel est le cas de Professione: reporter qui n'avait pas réussi, au moment de sa sortie et après Zabriskie Point, à réconcilier Michelangelo Antonioni avec son public et la critique. Le film, inspiré d'une histoire intitulée "Fatal Exit" de Mark Peploe (le frère de la compagne d'Antonioni à la fin des années 1960 et le futur scénariste de Bernardo Bertolucci sur The Last Emperor),
est d'ailleurs le seul, sur ses cinq sélections, avec lequel le
réalisateur italien est rentré bredouille de Cannes. Et la prestation
très honorable de Jack Nicholson, déjà remarqué dans Chinatown, sera éclipsée par celle de One Flew Over the Cuckoo's Nest, sorti la même année, qui vaudra à l'acteur, après quatre tentatives infructueuses, le premier de ses trois "Oscars".
David Locke,
un journaliste anglo-américain, tente vainement de recueillir une
interview du chef d'un groupe de guérilleros sahariens. Rentré à son
hôtel à pied après avoir ensablé son véhicule, il découvre dans la
chambre voisine de la sienne le corps inanimé de Robertson, un globe-trotter avec lequel il avait eu l'occasion de discuter. Le mort lui ressemblant étrangement, Locke
a la soudaine idée de changer d'identité avec lui. Il l'installe dans
sa chambre, le revêt de ses habits et intervertit les photographies sur
leur passeport. Après un bref passage à Londres pour récupérer chez lui,
en l'absence de son épouse, quelques papiers, l'usurpateur se rend à
Munich où il trouve, grâce à une indication laissée par Robertson,
un catalogue d'armes de guerre dans une consigne. Ce document de
livraison lui est bientôt réclamé contre une forte rémunération par un
révolutionnaire africain nommé Achébé, lequel lui donne rendez-vous, quelques jours plus tard, à Barcelone.
Il existe, indiscutablement, une relation transversale entre Professione: reporter et les deux films qui l'ont précédé. En particulier avec Blowup, qui était déjà le récit d'une perte de contrôle et d'une expérimentation. Comme le photographe Thomas, Locke est avant tout un observateur contraint, par un choix délibéré, de devenir acteur d'une réalité qu'il ne maîtrise pas. Professione: reporter
demeure, à ce titre, une profonde énigme jusqu'à son remarquable final.
On ne connaîtra rien, ou quasiment, des motifs réels qui ont poussé le
personnage central à endosser l'identité d'un presque parfait inconnu.
Il est cependant possible d'avancer quelques hypothèses. Locke,
physiquement épuisé et moralement désillusionné, ne perçoit comme
échappatoire que le cynisme(2), au sens philosophique du vocable, ce
retour à la nature qui prend ici la forme d'une renaissance(3) d'un type
particulier.
Ce
retour à l'origine n'en est, bien sûr, pas un puisque le reporter
endosse, en plus du sien, le passé associé à sa nouvelle identité et
qu'il sait que dans son cynisme, au sens courant du terme cette fois, la
vie ne lui permettra pas de jouer ce jeu très longtemps(4). Plus que
sur la figure du double, Professione: reporter (subtilement intitulé "The Passenger" aux Etats-Unis) explore les thèmes de la finitude (l'identité
est, en soi, une forme de permanence et la "fille" rencontrée à
Barcelone, probable symbole du destin, n'en possède d'ailleurs pas) et de l'absence. Il faudrait aussi et enfin s'interroger sur l'importance des décors minéraux, inorganiques, du film.
NB : contrairement à ce que pourraient laisser penser les
photographies disponibles, le film, tourné en 35 mm (format 1,85:1), est
en couleur.
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1. Professione... est, d'ailleurs, le vin-gtième film du réalisateur.
2. dont l'étymologie vient du chien... cartes écartées au tarot.
3. Stephen, l'amant de Rachel Locke, ne lui affirme-t-il pas, également, que "si elle fait un effort, peut-être pourra-t-elle le réinventer."
4. Locke/Robertson évoque à plusieurs reprises, au cours du film, "la fin de ses jours".
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