"On est mal parti alors, hein ?"
La production de Meurtrières intervient après une double et longue attente. Inspiré d'un fait divers réel(1), le projet est d'abord développé au milieu des années 1970 par Maurice Pialat(2) mais n'aboutit finalement pas. Sylvie Danton, la veuve du réalisateur, convainc Patrick Grandperret, assistant de Pialat sur deux films, de le reprendre, permettant ainsi à celui-ci de faire son retour au cinéma dix ans tout juste après Les Victimes, son précédent long métrage. Sélectionné dans la section "Un certain regard" cannoise en 2006, Meurtrières y a obtenu le "Prix du président du jury".
Une
jeune femme erre seule, de nuit, sur une route presque déserte, le
visage et le chemisier tachée de sang. La croyant accidentée, une femme
la conduit chez elle pour tenter de lui apporter assistance. Elles sont
bientôt rejointes par une autre jeune femme, elle aussi ensanglantée,
tenant un couteau à la main... Quelques jours auparavant, la première, Lizzy, retrouvée par son copain après un tentative de suicide, était placée dans une clinique psychiatrique rochelaise. La seconde, Nina,
déprimée et en partance pour Bordeaux, acceptait l'amicale proposition
d'accompagner une cliente de sa cousine jusqu'à La Rochelle et son
invitation à y passer le weekend. Victime d'une grave crise d'anxiété, Nina se voyait admise dans l'établissement fréquenté par Lizzy ; les deux patientes faisaient alors connaissance.
S'il ne possède pas l'énergie suggestive et formelle d'un Thelma & Louise(3) ou la force narrative et sociale de La Cérémonie de Claude Chabrol auxquels il peut être rapproché, Meurtrières
ne rate pas son objectif essentiel : faire le récit d'un drame
ordinaire tout en plaçant intelligemment le spectateur en attente, en
suspension de son dénouement. La directivité du titre et le choix d'une
composition en flash-back soutiennent indéniablement ce second aspect.
Ce qui n'empêche d'ailleurs pas Patrick Grandperret
et sa co-scénariste de ménager quelques menues ellipses ou déviations
fantasmatiques. Cette lente et continuelle dérive, née de la mise en
commun par les deux protagonistes de leur(s) fêlure(s) primordiale(s)
respective(s) et alimentée par une progressive perte des repères, ne
fascine peut-être pas. Mais le titulaire du "Prix Jean Vigo" 1989 réussit, malgré l'ombre planante du premier "père" du film(4),
à donner une palpable consistance au malaise et à la tension qui
habitent ses deux personnages principaux, esquissant habilement une
morale, équivoque, entre ce qui aurait pu être et ce qui advient. La
belle prestation de Céline Sallette, aperçue chez Philippe Garrel, et de Hande Kodja, actrice du télévisuel Temps meurtrier et d'un court métrage de Jean-Paul Civeyrac, achève enfin de nous convaincre.
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1. également à l'origine du Messidor d'Alain Tanner.
2. après un premier tournage interrompu, la seconde tentative de production prévoit Sandrine Bonnaire dans le rôle de l'une des criminelles.
3. dans lequel s'immisçait aussi l'homosexualité féminine.
4. auquel le film est dédié.
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