"Ensemble, nous formons une fleur à le recherche de l'eau sacrée."
Associé à l'étasunien Allen Klein*, récent coproducteur avec George Harrison du Concert for Bangladesh, Alejandro Jodorowsky se donne les moyens de ses ambitions. Doté d'un budget près du double de celui du précédent film, The Holy Mountain
reste fidèle à la "griffe" du cinéaste tout en amplifiant encore
davantage le trait, notamment par l'exacerbation de ses débauches
visuelles. Son objectif apparent, dans un contexte géopolitique
particulièrement tendu**, consiste à formuler une critique tapageuse et
hallucinogène de l'ordre mondial. Jodorowsky n'affirmait-il pas qu'il "demandait à un film ce que la plupart des Nord-américains souhaitait obtenir d'une drogue psychédélique." Présenté en première, hors compétition, au Festival de Cannes 1973, The Holy Mountain est devenu l'opus le plus estimé du réalisateur malgré son absence prolongée des écrans.
Un
pauvre hère trouvé ivre mort, escamoteur de son état, échappe à la
lapidation infligée par un groupe d'enfants nus. Il se lie avec l'un de
ses persécuteurs, un monstre sans bras ni jambes, et avec lui gagne la
capital du pays dirigé par une junte militaire violemment répressive. Un
juteux commerce d'articles religieux utilise, sans son consentement, sa
ressemblance avec Jésus pour la confection d'un moule de statue.
Désormais entouré de jeunes prostituées, l'homme arrive sur un marché
dominé par une très haute tour orange. De l'unique orifice au sommet de
celle-ci descend bientôt une corde terminée par un gros hameçon doré
auquel est fixé un sachet de pépites d'or pour l'achat de quelques
denrées alimentaires. Ayant pris place sur le crochet, le voleur arrive,
après sa longue ascension, dans un décor fantastique et multicolore où
il rencontre un étrange alchimiste et une femme Noire dont le corps
dénudé est recouvert de multiples figures tatouées.
Vaguement inspiré de l'inachevé et posthume "Mont Analogue" (1952) du poète et écrivain ardennais René Daumal, The Holy Mountain développe des thèmes fondamentaux sensiblement analogues à ceux des deux longs métrages précédents. Mais Jodorowsky opte ici pour un radicalisme schématique et formel pouvant se prêter à une critique de gratuité. Il est vrai qu'il fait de "la possession est la peine ultime" l'un des slogans clés de son film. Sa démarche, hermé(neu)tique et symbolique, l'incite même à priver de dialogues la presque totalité de la première partie. Certains ont fait de The Holy Mountain
une parabole anti-capitaliste. Il s'agit, plus sûrement, d'une comédie
baroque, alimentée par un imaginaire mécaniste et obsessionnel et située
à la confluence, peu alluvionnaire, de la formidable démesure kitsch
d'un Fellini. L'inventivité excessive, parfois proche du mauvais goût, de Jodorowsky
opère à rebours et l'enferme dans son dispositif et sa narration, le
contraignant, sous la forme d'une mise en abyme, à une mystification
finale.
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*et, sans être crédité au générique, au couple Lennon.
**malgré ou à cause de la fin de la guerre du Viêt-nam.
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