"Laisse-moi rêver encore. Je ne veux pas me réveiller."
En 1949, Luis Buñuel est au Mexique depuis trois ans et n'y a réalisé qu'un seul film, Gran Casino, sorti en 1947, seulement son quatrième depuis Un Chien andalou.
Sans argent ni travail, le futur quinquagénaire envisage sérieusement
d'abandonner le cinéma. C'est alors qu'il se voit proposer par le
producteur Óscar Dancigers la direction, à la place de Fernando Soler déjà acteur et co-producteur, de ce Gran calavera tiré de la pièce éponyme d'Adolfo Torrado. Bien que l'univers de cet auteur soit très différent du sien, Buñuel accepte et met en scène cette comédie sur une adaptation du couple Alcoriza, acteurs partiellement reconvertis dans l'écriture. Luis Alcoriza
tient d'ailleurs un second rôle dans le film. Pour le cinéaste, cette
commande est l'occasion de se familiariser avec le cinéma industriel, "normal" (selon son expression)
et ses techniques. Elle est aussi le moyen de commencer à acquérir la
réputation d'un réalisateur efficace et rapide qu'il conservera pendant
toute sa période mexicaine.
Depuis le décès de son épouse Elena, le riche Don Ramiro
s'adonne à l'alcool et néglige ses affaires. Sa famille, ses
domestiques et ses employés vivent ostensiblement à ses dépens sans que
cela ne semble vraiment le contrarier. Alfonso, son fondé de
pouvoirs, tente en vain de le faire revenir à la raison afin d'éviter la
faillite. Mais cet amphitryon n'en a cure et préfère aller se saouler
en bonne et joyeuse compagnie. Ce qui ne l'empêche pas de garder un
semblant de lucidité pour interrompre les fiançailles de sa fille Virginia avec Alfredo, un bellâtre uniquement intéressé par sa fortune. Lorsque Eduardo, son frère psychiatre fraîchement arrivé, apprend la situation périlleuse de Ramiro
tant sur le plan sanitaire que financier, il imagine un stratagème
destiné à provoquer un choc salutaire chez celui-ci. Il installe
l'inconscient et sa famille dans un taudis du quartier pauvre et lui
fait croire qu'il est ruiné et poursuivi pour banqueroute frauduleuse.
El Gran calavera est, au moins en apparence, l'une des œuvres les moins personnelles de Luis Buñuel. Et on a peine à imaginer qu'elle puisse précéder d'un an seulement et lui ait permis de tourner le sombre et inquiétant Los Olvidados.
Fable satirique sur les vices de la richesse et les vertus de la
pauvreté, on pourrait croire avoir affaire à une comédie positive d'un Capra
qui se serait accidentellement égaré loin de sa Californie d'adoption
et de prédilection. Alerte, à l'intrigue et aux dialogues drôles voire
subtils, interprété par des acteurs talentueux, notamment par Fernando Soler qui campe, sans difficulté, le plus sympathique des bourgeois du cinéma de Buñuel,
il ne manque quasiment rien au film. Pas même cette férocité implicite
ou la critique de l'église, tournée en dérision par un procédé purement
auditif dans l'une des scènes finales, qui pourrait trahir la patte de
ce grand et insolite réalisateur.
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