"Triste est son destin."
Connu notamment pour ses quatre participations (sur sept) à la série Kozure Ôkami, Kenji Misumi
est, également et tout simplement, avec six épisodes dont l'inaugural,
l'un des principaux et meilleurs réalisateurs de la saga Zatôichi. Kiru sort, d'ailleurs, la même année que Zatôichi monogatari mais, contrairement à celui-ci qui appartient au genre chambara, Kiru est un jidai geki (film historique) tourné, qui plus est, en couleur. Si le talent de Misumi
ne faisait déjà pas de doute dans le premier opus des aventures du
masseur aveugle, il devient une évidence manifeste avec ce remarquable
film, bien servi par un bon scénario adapté d'un roman de Renzaburo Shibata (l'auteur d'une autre série, Nemuri Kyôshirô, à laquelle Misumi contribuera à trois reprises à partir de 1964) et par une distribution solide.
Ere Tenpo, an 3 (1833). Shingo, un jeune enfant d'un an, est confié par le clan Iida à Shinemon Takakura,
un samouraï de rang inférieur du clan Komoro. Vingt trois ans plus
tard, après avoir entrepris un voyage initiatique de trois ans, Shingo
revient chez lui et participe à un tournoi de sabre qu'il remporte,
sans combattre, grâce à une botte baptisée "du luth" face à Sholi Kahei, un excellent sabreur du clan Mito. Ulcéré par l'échec de son fils, Gijuro, et par la victoire de Shingo qui en fait le favori du seigneur, le voisin Ikébé dévoile à qui veut l'entendre, et incidemment, à l'intéressé lui-même, que Shingo est un enfant illégitime adopté par Takakura. Rappelé à l'ordre par le seigneur du clan, Ikébé et son fils tuent Takakura et sa fille Yoshio puis s"enfuient. Avant de mourir, Takakura révèle la vérité sur sa naissance complexe et tragique à Shingo.
Après s'être vengé des assassins de sa famille adoptive et avoir
rencontré son vrai père, celui-ci entre, à Edo, au service du conseiller
shogunal Matsudaira, au moment où le clan Mito attaque le consulat britannique.
Fresque historique de presque trente ans, qui s'achève au début de l'ère Bunkyo, Kiru
est surtout une tragédie aux influences raciniennes ou shakespeariennes
centrée autour du personnage aux origines troublées qu'est Shingo. Né dans un contexte de crime politique puis entouré de mort(e)s,
ce héros, aux pulsions suicidaires, le devient réellement lorsqu'il
abandonne sa technique déloyale tout en espérant, secrètement, trouver
un adversaire plus fort que lui. Mais la noirceur et la poésie du récit
doivent beaucoup à la mise en scène extrêmement épurée, voire ascétique,
mais terriblement efficace de Misumi.
Le réalisateur, tout en rénovant le genre, donne à son film, très
équilibré dans sa narration et son rythme, une qualité archétypale
stupéfiante. Le casting n'est pas en reste avec, en particulier, la
présence de Raizô Ichikawa dont l'élégance naturelle est en parfaite adéquation avec l'esprit et la forme de l'œuvre. Kenji Misumi mérite d'être (re)découvert et, enfin, apprécié à sa juste valeur.
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