"Une main pour le serrer fermement, une autre pour le soutenir."
Changement d'auteur, d'époque et d'ambiance avec ce dernier film de la trilogie. Ken est tiré de la nouvelle éponyme et prémonitoire de Yukio Mishima, un auteur bien connu en Occident, dont l'œuvre avait déjà été portée à l'écran, notamment Enjo par Kon Ichikawa en 1958. L'intrigue de Ken se passe au milieu du XXe siècle, il s'agit donc d'un gendai geki (film contemporain),
tourné en noir et blanc, mais dont le lien avec les films précédents
trouve sa source, bien sûr, dans le thème générique du sabre mais aussi
dans celui, plus spécifique, du destin tragique du personnage principal.
Kenji Misumi
prouve, avec ce film, son incontestable polyvalence cinématographique,
sa parfaite compréhension et son impressionnante traduction de l'univers
de l'écrivain.
Les responsables du club de kendo de l'université de Towa (Tokyo) doivent choisir le capitaine qui doit les conduire au championnat national. Ils préfèrent Jiro Kokubu à son rival Kagawa, au palmarès pourtant plus étoffé, pour ses qualités morales. Kokubu, qui se voue corps et âme à son art et impose une discipline de fer aux membres de son équipe, devient le modèle du cadet Mibu. Kagawa,
admiratif et jaloux des vertus presque surhumaines de son capitaine,
tente de s'opposer à son intransigeante autorité. Il essaiera même
d'instrumentaliser Itami Eri, une étudiante de la fac de Lettres sincèrement amoureuse de Kokubu,
pour le faire tomber de son piédestal. C'est pendant le stage de
préparation estival que vont se résoudre dramatiquement les tensions
nées avec la nomination du nouveau capitaine.
Jiro Kokubu est, sans aucun doute, une des figures romancées de Kimitake Hiraoka, caché sous le pseudonyme (le masque) de Yukio Mishima,
dont la vie a, elle même, été romanesque. Cet idéalisme, ce culte de
l'effort, de la beauté, cet amour des traditions, cette défiance vis à
vis de l'Occident et des femmes, que l'on retrouve dans son œuvre et
dans Ken, appartiennent bien à l'univers personnel de l'auteur. Kenji Misumi,
à travers son film apparemment simple mais doté d'une grande intensité
narrative et profondeur psychologique, en donne une représentation à la
fois fidèle et symbolique, rendant le film réellement passionnant...
même pour ceux que le kendo laisse indifférents. Il y a déjà un
avant-goût du "Tate no Kai" (société du bouclier), cette milice fondée par Mishima
en 1968 pour protéger l'empereur, dans cette équipe au cœur du récit.
On y retrouve aussi cette peur de la réalité, ce refus de la banalité et
de la perte des valeurs fondamentales, ce sentiment mêlé de dédain et
de crainte de l'occidentalisation du Japon, symbolisé dans le film par
le personnage féminin d'Itami. La réalisation de Misumi
est, encore une fois, inspirée, subtile et forte, graphiquement
soulignée par l'utilisation du noir et blanc. L'interprétation du
"carré" d'acteurs principaux est très convaincante et les seconds rôles
sont également solides. Un très beau film.
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