lundi 14 février 2005

Ken (le sabre)


"Une main pour le serrer fermement, une autre pour le soutenir."

Changement d'auteur, d'époque et d'ambiance avec ce dernier film de la trilogie. Ken est tiré de la nouvelle éponyme et prémonitoire de Yukio Mishima, un auteur bien connu en Occident, dont l'œuvre avait déjà été portée à l'écran, notamment Enjo par Kon Ichikawa en 1958. L'intrigue de Ken se passe au milieu du XXe siècle, il s'agit donc d'un gendai geki (film contemporain), tourné en noir et blanc, mais dont le lien avec les films précédents trouve sa source, bien sûr, dans le thème générique du sabre mais aussi dans celui, plus spécifique, du destin tragique du personnage principal. Kenji Misumi prouve, avec ce film, son incontestable polyvalence cinématographique, sa parfaite compréhension et son impressionnante traduction de l'univers de l'écrivain.
Les responsables du club de kendo de l'université de Towa (Tokyo) doivent choisir le capitaine qui doit les conduire au championnat national. Ils préfèrent Jiro Kokubu à son rival Kagawa, au palmarès pourtant plus étoffé, pour ses qualités morales. Kokubu, qui se voue corps et âme à son art et impose une discipline de fer aux membres de son équipe, devient le modèle du cadet Mibu. Kagawa, admiratif et jaloux des vertus presque surhumaines de son capitaine, tente de s'opposer à son intransigeante autorité. Il essaiera même d'instrumentaliser Itami Eri, une étudiante de la fac de Lettres sincèrement amoureuse de Kokubu, pour le faire tomber de son piédestal. C'est pendant le stage de préparation estival que vont se résoudre dramatiquement les tensions nées avec la nomination du nouveau capitaine.
Jiro Kokubu est, sans aucun doute, une des figures romancées de Kimitake Hiraoka, caché sous le pseudonyme (le masque) de Yukio Mishima, dont la vie a, elle même, été romanesque. Cet idéalisme, ce culte de l'effort, de la beauté, cet amour des traditions, cette défiance vis à vis de l'Occident et des femmes, que l'on retrouve dans son œuvre et dans Ken, appartiennent bien à l'univers personnel de l'auteur. Kenji Misumi, à travers son film apparemment simple mais doté d'une grande intensité narrative et profondeur psychologique, en donne une représentation à la fois fidèle et symbolique, rendant le film réellement passionnant... même pour ceux que le kendo laisse indifférents. Il y a déjà un avant-goût du "Tate no Kai" (société du bouclier), cette milice fondée par Mishima en 1968 pour protéger l'empereur, dans cette équipe au cœur du récit. On y retrouve aussi cette peur de la réalité, ce refus de la banalité et de la perte des valeurs fondamentales, ce sentiment mêlé de dédain et de crainte de l'occidentalisation du Japon, symbolisé dans le film par le personnage féminin d'Itami. La réalisation de Misumi est, encore une fois, inspirée, subtile et forte, graphiquement soulignée par l'utilisation du noir et blanc. L'interprétation du "carré" d'acteurs principaux est très convaincante et les seconds rôles sont également solides. Un très beau film. 

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