jeudi 24 février 2005

Contes immoraux


"... Et à la mer qui monte autour de nous, comme monte en moi le désir."

Produit par son compatriote Anatole Dauman (avec lequel avaient collaboré Resnais, Bresson, Chris Marker, Godard, puis Wenders et Nagisa Oshima), Contes immoraux, le premier film ouvertement érotique de Borowczyk, veut, en quatre courts épisodes, donner un aperçu du libertinage à travers les âges. Inspiré explicitement de Mandiargues, implicitement, de Sade et Bataille et réalisé en esthète, le film tranche assez nettement avec les œuvres précédentes, ce qui troublera négativement les amateurs habituels et positivement un nouveau public, attiré par sa réputation sulfureuse. Contes immoraux s'inscrit dans le sillon ouvert par Il Decameron de Pasolini et de The Devils de Ken Russel et parcouru, ensuite, par les films de Just Jaeckin* ou, dans une approche plus niaise, ceux de David Hamilton.
La marée - 1974. André, vingt ans, en vacances dans une propriété familiale de la côte normande, part en promenade sur la plage avec sa cousine, Julie, de quatre ans sa cadette. Les deux jeunes gens se retrouvent, bientôt, volontairement isolés, sur un éboulis de rochers, par la marée montante. Là, Julie, soumise, se laisse initier à la notion de marée et à la sensualité. Thérèse philosophe - 1890. Parce qu'elle s'est trop attardée à la sortie de la messe, l'ardente Thérèse est enfermée par sa tante, trois jours et trois nuits, dans le débarras d'un manoir. Inspirée par les évangiles, elle entreprend de fouiller sa cellule et découvre, parmi les vieux livres, un ouvrage libertin. Les gravures qu'il contient éveillent sa curiosité charnelle. Au matin, elle s'évade et sera violée par un vagabond. "La Gazette du dimanche" demandera, quelques temps après, sa béatification. Erzsébet Bathory - 1610. La comtesse Bathory, accompagnée de son jeune page Istvan et de ses gens d'armes, fait irruption dans la cour d'une ferme. Les plus belles paysannes, faites captives, sont emmenées au château de Csejta. Là, après s'être déshabillées, lavées, parfumées, et avoir bu un mystérieux nectar, elles participent à une étrange cérémonie au funeste final. Lucrezia Borgia - 1498. Lucrezia Borgia, accompagnée de son mari Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro, rend visite à son père, le pape Alexandre VI, et à son frère, le cardinal Cèsare Borgia. Après l'enlèvement, sur ordre du cardinal, de Sforza par des soldats, la famille Borgia s'adonne à une liturgie bien particulière. Tandis que le dominicain Hyeronimo Savonarola périt au bûcher pour avoir dénoncé les mœurs dissolus du souverain pontife, celui-ci baptise l'enfant auquel Lucrezia vient de donner naissance.
Hormis le premier segment, issu d'une œuvre du surréaliste André Pieyre de Mandiargues, le libertinage est, chez Boro, intimement lié à la religion. Rien de plus normal, direz-vous, puisque dans la représentation chrétienne classique, sexualité et spiritualité forment un antagonisme modèle, bien que souvent ambigu. Cette ambiguïté est particulièrement soulignée, mais sans vulgarité, dans Contes immoraux, notamment avec Thérèse philosophe dans lequel la jeune Thérèse H., avec force travaux pratiques, passe, allègrement, du chemin de croix au célèbre manuel de liberté sexuelle** rédigé au XVIIIe siècle par Jean-Baptiste de Boyer, marquis d'Argens. La marée est, sans conteste, le segment le plus équilibré et intéressant. Dialogues et mise en scène s'y marient étroitement et finement, alors que les autres parties du film, certes soignées sur le plan visuel, sont plutôt des histoires sans paroles. La présence du tout jeune Fabrice Luchini, à peine sorti du Genou de Claire, est, plus que celle, anecdotique, de Paloma Picasso dans Erzsébet Bathory, une curiosité supplémentaire en faveur du premier épisode.
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* Borowczyk participera, d'ailleurs, au tournage d'Emmanuelle V.
**dont Sade, un expert, disait qu'il s'agissait d'un "ouvrage charmant..., le seul qui ait montré le but, sans néanmoins l'atteindre tout à fait ; l'unique qui ait agréablement lié la luxure et l'impiété ".

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