"Tu ne t'es jamais pardonné ?"
Ken Loach ne donne la pleine mesure de son talent que lorsqu'il traite de sujets qu'il connaît et qui le touchent "intimement". Après Riff-Raff (qui aurait pu s'appeler "My Name Is Steve") et Raining Stones ("My Name Is Bob"), le cinéaste signe à nouveau, avec My Name Is Joe, un remarquable drame psychologique et social, superbement enraciné dans la réalité urbaine des faubourgs de Glasgow. Afin d'élaborer son deuxième scénario pour Loach, très différent du précédent, Paul Laverty s'est livré à une minutieuse enquête sur les conditions de vie dans les quartiers défavorisés de la capitale écossaise. Elle sert évidemment l'authenticité de son récit, âpre et fort comme un scotch des Highlands, dans lequel le jeu de Peter Mullan, acteur de Danny Boyle et futur réalisateur de The Magdalene Sisters, fait merveille.
Ancien alcoolique pénitent grâce à l'aide de son vieil ami Shanks, Joe Kavanagh vit modestement de ses indemnités chômage. Les deux hommes encadrent également une équipe amateur de football qui arbore fièrement, malgré la faiblesse de leur jeu, le maillot de l'équipe nationale de R.F.A., vainqueur de la Coupe du monde en 1990. Le jeune Liam y porte celui du milieu de terrain Günter Netzer. Joe porte une attention particulière à cet ancien détenu pour trafic de stupéfiants, compagnon de Sabine, junkie et prostituée occasionnelle, et père du petit Scott. Un jour de match, Joe soustrait son numéro dix à la visite de l'assistante médico-sociale, auteur quelques instants plus tôt d'une magnifique queue de poisson contre son véhicule.
Joe croise une nouvelle fois Sarah Downie et l'aide encore à ramasser les rouleaux de papier peint qui tombent de son coffre à chaque fois qu'elle l'ouvre ; il lui propose spontanément de tapisser et de repeindre son salon. Une agréable complicité naît entre les deux célibataires endurcis qui mute en liaison après une soirée-bowling et un hébergement forcé chez Joe. Ce dernier est bientôt contraint d'intervenir pour empêcher le trafiquant de drogue McGowan de s'en prendre à Liam ou à Sabine en raison de la forte somme d'argent qu'ils lui doivent.
Derrière ce titre "anonyme", presque westernien, se joue une véritable aventure humaine, sèche et puissante, comme l'on en voit peu dans le cinéma contemporain d'auteur. C'est en effet une claque mémorable, parce que crainte et attendue à la fois, qu'assène My Name Is Joe au spectateur au moment où il voit l'existence du contrasté et attachant Joe lui échapper de nouveau pour retourner au chaos. Loach et Laverty tissent un canevas narratif dépouillé mais solide, dont le thème de la seconde chance constitue le fil de trame, ceux de l'amitié et de la reconnaissance la chaîne. La progression dramatique est maîtrisée avec intelligence et finesse, prenant une tonalité de thriller au moment de son tardif climax. Mais le film repose avant tout sur la qualité de l'interprétation, en particulier celle de Peter Mullan, très justement récompensée par une "Palme" à Cannes en 1998. La vitalité, le naturel et les nuances que sait apporter l'acteur écossais à son personnage sont assez exceptionnels. My Name Is Joe ne se contente pas de nous bousculer, il nous tacle !
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